La mort bleue
bouche de la jeune femme, comme si elle nommait un démon nouvellement recruté dans les armées de Lucifer. Ses dernières paroles, au moment de sortir, confirmèrent lâimpression de Fernand :
â Vos parents ont tellement prié.
* * *
Une ambiance plutôt étrange régnait dans le grand magasin PICARD, à cause des allées à peu près désertes. Lâobligation de fermer à quatre heures de lâaprès-midi ne changerait pas grand-chose : les consommateurs se terraient chez eux, ne sortant plus que pour faire des achats absolument nécessaires. Ils ne sâattardaient guère et se tenaient à distance.
Ãdouard quitta son bureau, demeura interdit en posant les yeux sur sa secrétaire. Celle-ci portait désormais un masque lui couvrant la moitié du visage.
â De plus en plus de gens en portent un, plaida-t-elle en fixant un regard contrit sur son patron.
Elle sâinquiétait un peu de son initiative. Aussi elle insista :
â Il y a même des vendeursâ¦
â Vous faites bien. Ãcrivez une note recommandant au personnel de faire la même chose et placez-la bien en vue. Avec ce qui est arrivé au pauvre Louisâ¦
La jeune femme hésita un moment avant de demander :
â Avez-vous reçu des nouvelles alarmantes?
â Certaines informations sont alarmantes, les autres optimistes. Je désire me faire une idée moi-même : je vais le voir.
â ⦠Soyez prudent.
Les yeux bruns exprimaient de lâinquiétude. Le masque lui donnait une curieuse allure. Dans un autre contexte, il sâen serait amusé.
â Promis. Je commencerai par prendre un déguisement comme le vôtre au rez-de-chaussée.
Une demi-heure plus tard, il stationnait sa voiture en face dâune charmante petite maison de la rue Saint-Jean. Son collègue vivait tout près de son paternel, cela devait favoriser la concertation entre les deux hommes.
« Au fond, se dit Ãdouard, il se trouve sous une surveillance presque aussi étroite que moi. »
En quelques pas, il parcourut lâallée, gravit les trois marches conduisant à la galerie sâétendant sur toute la largeur de la demeure, frappa à la porte. Comme rien ne se produisait, il donna du poing un peu plus fort, se pencha afin de coller son front contre la vitre découpée au milieu de la surface de bois.
Le rideau de dentelle nâempêchait pas totalement de voir à lâintérieur. Il aperçut la petite silhouette de la femme de son collègue. Elle tenait sa fille âgée dâenviron six mois dans les bras.
â Câest moi, Ãdouard, cria-t-il contre la vitre. Laissez-moi entrer. Je viens voir Louis.
Elle sâapprocha dâun pas hésitant. Lâhomme distingua bientôt le visage défait, les paupières enflées, les joues barbouillées de larmes.
â Est-ce que je peux entrer? Je désire voir Louis, insista le visiteur.
â ⦠Il est malade.
Si le son ne parvint pas à ses oreilles, il devina le sens des mots.
â Je sais. Je voudrais lâencourager un peu.
Une grimace se dessina sur le petit visage, cette fois, il perçut des sanglots. Une silhouette parut au fond du couloir, vint vers la porte. à lâuniforme, le visiteur reconnut une infirmière de lâOrdre de Victoria. Depuis quelques jours, ses collègues et elle devaient réaliser des affaires dâor. Elle posa les mains sur les épaules de la maîtresse de maison, la poussa doucement vers une pièce sâouvrant sur la gauche, puis revint près de la porte.
Elle portait un masque et ses cheveux étaient enfermés dans un bonnet ressemblant fort à celui dâune cuisinière.
â Vous ne pouvez pas entrer ici, commença-t-elle.
Le marchand trouva dâautant plus difficile de la comprendre quâil ne voyait pas ses lèvres. Un peu comme un sourd, il désigna son oreille en secouant la tête de droite à gauche.
Lâinfirmière lui fit signe de reculer un peu, attendit quâil se trouve près de lâescalier avant de tourner le verrou et dâouvrir la porte dâune largeur de six pouces environ.
â Ne vous approchez pas, pour votre propre bien.
â Je porte un masque.
â Ce nâest pas un talisman. Gardez vos distances.
Elle sâexprimait bien en français, mais avec un lourd
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