La mort bleue
fumée bleue et une pétarade de moteur emballé.
Soucieux, Ãdouard demanda à lâemployé en arrivant à sa hauteur :
â Que se passe-t-il?
â Monsieur Picard, dommage que vous ne soyez pas arrivé plus tôt. Vous auriez pu le conduire à la maison.
â Quâest-il arrivé?
â Cette horrible grippe. Vous savez combien il est fort⦠Tous ces derniers jours, il est venu travailler.
Ãdouard écarquilla les yeux, déclara, fort surpris :
â Mais je lâai vu ce matin, il me semblait tousser un peu moins.
â Cet après-midi, cela nâallait plus du tout. Je lâai trouvé derrière son bureau tout à lâheure, incapable de reprendre son souffle.
Pour exprimer son désarroi, lâemployé secouait la tête. Puis il réintégra le commerce sans rien ajouter. Un moment, le fils Picard songea se rendre au Club de réforme seul. à la fin, inquiet, il décida de rentrer plutôt à la maison pour se reposer. Après tout le temps passé avec son collègue récemment, il risquait fort dâavoir attrapé cette damnée infection.
14
Le pronostic du docteur Caron se montra exact : au troisième jour de sa grippe, la toux de Fernand se calma, de même que la douleur à la base du crâne, dans les épaules et dans les bras. Sa grande fatigue relâcha un peu son emprise. Puis, le vendredi 11 octobre marqua son passage de la maladie à la convalescence. Cela lui valut un léger changement de tenue. Au lieu de passer sa journée en pyjama, sous les couvertures, il endossa son peignoir dès le matin pour sâasseoir sur celles-ci, le dos soutenu par un amoncellement dâoreillers.
Jeanne le trouva dans cette posture au moment de lui monter son petit déjeuner. Son masque lui conférait toujours un air étrange, celui dâune combattante engagée dans une guerre sans merci.
â Monsieur, cela ne me semble pas bien prudent. Elle voulait dire abandonner la position horizontale.
â Selon le médecin, je vais beaucoup mieux. Vous lâavez entendu hier soir. Je dois bien faire un effort pour donner raison à ce pauvre homme.
â Il a aussi dit de vous reposer, de ne pas reprendre vos activités avant une autre semaine.
â Alors je ne toucherai pas à un contrat ou à un testament, avant vendredi prochain, juré, craché. Ce sera le 18, je crois. Dâici là , je ne resterai pas sous les couvertures toute la journée.
Lâhomme marqua une pause, puis il ajouta :
â Je ne vais même pas garder le lit pour manger.
Un fauteuil se trouvait placé près de la fenêtre. Il se leva avec précaution.
â Attendez que je vous aide.
Le plateau, tenu à la hauteur de la poitrine, lâavait encombrée pendant tout leur échange.
â Pose-le sur le lit et approche le petit guéridon.
Dâun pas incertain, lâhomme se rendit à son siège. Un moment plus tard, son repas devant lui, il leva des yeux désolés en plaidant :
â Tu sais, je commencerai à aller vraiment mieux le jour où jâaurai droit à des aliments destinés à des humains. Lâavoine, câest pour les chevaux.
â Mieux vaut manger léger. Vous êtes encore faible.
â Je demeurerai faible aussi longtemps que je mangerai du gruau.
La domestique lui adressa un petit sourire, perdu dans son masque, puis elle céda :
â Tout de même, faites un effort pour en avaler un peu. Pendant ce temps, je vais aller vous chercher un morceau de fromage et deux toasts.
â Tu es une bonne fille. Remonte avec le journal. Jâaimerais savoir ce qui se passe du côté des vivants.
Jeanne allait ouvrir la porte quand il ajouta, soudainement préoccupé :
â Personne dâautre nâa été affecté par cette vilaine grippe, dans la maison?
â Non. Je trouve dâailleurs cela curieux. Les journaux insistent tellement sur la contagionâ¦
â Les enfants?
â Pas la moindre petite toux. Ils sont en train de rendre folle votre vieille nounou. Vos parents vont bien aussi. Comme je nâai plus eu aucun contact avec eux depuis le jour de la mort de mon frère, sauf au moment de mon retour, je suppose que cela a suffi à enrayer le passage des microbes. Ou alors, câest un miracle.
Le mot microbe sonnait curieusement dans la
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