Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
La mort bleue

La mort bleue

Titel: La mort bleue Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
Vom Netzwerk:
serait partie remise : les soldats assez mal en point pour être rapatriés ne retourneraient pas en Europe. Très vite, l’armée leur donnerait le honorable discharge avant de les rendre à leur famille, diminués mais vivants.
    Quelques estropiés ne faisaient l’objet d’aucun accueil. Ils reposaient sur le quai, étendus sur leur civière, en attendant leur tour. Thalie reconnut un visage vaguement familier, celui d’un garçon malingre aux cheveux d’un blond sale et aux yeux d’un bleu délavé. En réalité, elle ne le reconnut pas vraiment, mais le nez un peu dévié sur la gauche lui fournissait un indice précieux.
    â€” Pierre Pelletier? demanda-t-elle en s’approchant.
    â€” Qu’est-ce que tu veux, beauté?
    La voix était éraillée, une toux sèche amena les jeunes femmes à garder leurs distances. Le port du masque aurait été plus prudent.
    â€” Tu ne me reconnais pas? Nous nous sommes rencontrés, il y a bien des années.
    Il la regarda un moment, intrigué, avant de répliquer :
    â€” Si c’était le cas, je m’en souviendrais. Une aussi jolie fille, cela ne s’oublie pas. Tu ne vas pas me dire que tu t’es retrouvée avec un « paquet » à cause de moi?
    Ã‰mue par le sort incertain des armes, bien des jeunes femmes compatissantes cédaient aux avances d’un militaire sur le point de s’embarquer, tellement l’odeur de la mort éveillait celle de l’amour, parfois. Les plus malchanceuses se mettaient en réserve une jolie surprise, neuf mois plus tard.
    â€” Tu peux cesser de donner le change. Déjà, à l’époque de notre rencontre, je soupçonnais que tu préférais les garçons. Avec une pareille inclination, tu ne risques pas d’augmenter la population des orphelinats.
    Françoise se trouva de nouveau assaillie par une rougeur soudaine aux joues, devant l’allusion explicite à des pratiques « contre nature ». Pelletier fit le geste de se dresser à demi afin de protester. Une quinte de toux interrompit son mouvement.
    â€” Qui es-tu, à la fin? bafouilla-t-il en reprenant son souffle.
    â€” Il y a des années, tu aimais bien torturer un garçon plus jeune que toi. C’est lui qui t’a cassé le nez de cette façon.
    Elle désignait l’appendice volumineux et dévié.
    â€” Moi, je suis la petite sœur.
    â€” Jésus Christ! La petite garce.
    â€” Je savais que tu te souviendrais. Attention à ta langue, je pourrais bien te crever un œil. Nous sommes comme cela, dans la famille, prêt à rendre les coups au centuple.
    Sur les derniers mots, elle caressa l’extrémité de la longue aiguille qui retenait son chapeau à la masse de ses cheveux. L’homme marqua une pause, puis grogna :
    â€” Une famille de fous, oui!
    â€” Tu es du 22 e bataillon, comme Mathieu. Je suppose que tu l’as vu, en Europe.
    â€” Nous sommes des milliers dans ce régiment.
    â€” Tout de même, insista Thalie, je suppose que les hommes de la même ville fraternisaient.
    Françoise surmonta sa crainte de la contagion au point de se pencher sur la civière pour préciser :
    â€” C’est mon fiancé. Vous l’avez vu, n’est-ce pas?
    Pelletier la regarda un moment, esquissa une grimace en songeant aux accusations lancées plus de dix ans auparavant.
    â€” Il ne s’ennuie pas, le cochon.
    â€” Vous l’avez vu?
    Ã€ la fin, le militaire se résolut à jouer au bon garçon :
    â€” Évidemment, je l’ai vu. Tout le monde l’a vu. Quand le capitaine a reçu un obus dans le cul, il a pris sa place. Cela fait deux mois qu’il décide qui va aller se faire tirer dessus et qui survivra jusqu’au lendemain.
    â€” Il est en bonne santé? questionna Françoise, de l’espoir dans la voix.
    â€” Cela fait un mois que je me trouve à l’hôpital. Comment voulez-vous que je le sache?
    Sur ces mots, il montra sa main droite, couverte d’un gros bandage. La blessure idéale, suffisante pour éloigner du champ de bataille, sans toutefois mettre la vie en danger. Thalie saisit le poignet, révélant une vigueur étonnante dans un corps si menu. Le geste ramena le soldat onze ans plus tôt, lors de leurs premiers échanges.
    â€” Il se portait

Weitere Kostenlose Bücher