La mort bleue
médecin couché. La grippeâ¦
Marie pâlit. Elle réussit toutefois à étouffer sa peur, son désir de lui interdire de sortir le lendemain. à la place, elle demanda :
â Crois-tu que câest grave?
â Le docteur Caron me paraissait bien anxieux, au moment de mon départ.
Devant les yeux interrogateurs de sa mère, elle précisa :
â Il est venu le voir ce matin, puis il est demeuré avec nous pour la journée.
â Je vais prier pour lui.
Thalie demeura interdite. Ãgrener son chapelet ne figurait guère à lâarsenal habituel de Marie, les jours de grande inquiétude. Elle comprit être aussi lâobjet de cette recrudescence de piété. Françoise prit la main de sa voisine dans la sienne et murmura :
â Je prierai aussi. à nous deuxâ¦
â Nous trois, grommela Gertrude, de lâautre côté de la table.
Finalement, tout le monde se joindrait au petit cercle de prières.
* * *
Le lendemain, dès son arrivée, la jeune fille monta tout de suite au bureau de la directrice et se trouva en face du docteur Caron au moment où il sortait de la pièce.
â Comment va-t-il?
â ⦠Mal, jâen ai peur.
Lâhomme paraissait désemparé. Son inquiétude se transmit à son interlocutrice.
â Il faudrait le faire transporter à lâhôpital.
â Il ne serait pas mieux traité à lâHôtel-Dieu ou dans un autre établissement de la ville. Je vais garder un Åil sur lui toute la journée.
â Cela veut dire que personne ne viendra le relever?
Caron secoua la tête en signe de dénégation. Au Bureau dâhygiène de la municipalité, on paraissait incapable de mobiliser une autre personne pour une période indéterminée.
â En conséquence, conclut-il, je resterai ici aussi longtemps que nécessaire. Mes collègues se partageront ma clientèle dans les jours à venir.
Si, en temps normal, les médecins se trouvaient en concurrence, ces circonstances exceptionnelles les rapprochaient tous. Chacun essayait de soulager lâautre, dans la mesure du possible. Avant de se diriger vers la grande salle, lâhomme ajouta :
â Voulez-vous vous occuper de lui?
â Avec plaisir.
En entrant dans le bureau, Thalie reconnut lâodeur dâexcréments. La médecine lui réservait des côtés moins noblesâ¦
* * *
â Ne crois-tu pas que câest plus raisonnable? demanda Thomas en ouvrant la porte du grand magasin à son fils. Nous venons au même endroit, il est plus rationnel dâutiliser la même voiture.
â Mais tu retourneras à la maison tout à lâheure avec la Buick et moi, je serai condamné à prendre le tramway.
â Condamné! Quel sens du drame.
â Câest un foyer dâinfection.
Ils contemplèrent les allées à demi désertées du commerce.
En face des grandes portes, Thomas découvrit un nouvel étal rempli de sirops pour la toux, de pastilles, dâonguents à base de camphre. Il demanda, surpris :
â Veux-tu faire compétition à la pharmacie Brunet?
â Les journaux prétendent que ces préparations font des miracles. Si les clients veulent les acheter, nous serions bien fous de ne pas profiter de cette manne.
â Le résultat?
â Cela compense un peu pour les produits qui demeurent sur nos tablettes depuis un mois.
Lâascenseur sâouvrit devant eux, un garçon masqué annonça « Rez-de-chaussée » à la seule occupante de la petite cage métallique. Au moment de monter, le propriétaire lui déclara :
â Je ne vous reconnais pas, monsieur?â¦
Pour un gamin dâune douzaine dâannées, le titre paraissait un peu pompeux.
â Philippe, monsieur Picard, balbutia lâautre, dâune voix mal assurée.
â Alors, bienvenue parmi nous, jeune homme. Dans les circonstances, je ne vous tends pas la main.
â Je comprends, Monsieur. Nous voilà à lâétage des bureaux administratifs.
Lâascenseur sâarrêta brutalement, au point que le garçon murmura un « Pardon » timide. Les hommes sortirent. En traversant le rayon des vêtements pour dames, Thomas demanda :
â Celui qui était là auparavant?
â La grippe.
â Quel gâchis! Nous nâen
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