La mort bleue
bleus de la bénévole, se perdaient sous le masque.
â Au cours des deux dernières semaines, jâai appris à lâaimer. Sa générositéâ¦
Sa voix sâétrangla sous lâémotion. Caron passa ses bras autour du corps gracile, la serra contre lui avec tendresse.
â Je le sais bien. Tant de compétence mariée à tant de bonté.
Lui aussi ne retenait plus ses larmes. Il sâéloigna un peu, posa ses mains sur les épaules de la jeune fille.
â Essayez de reprendre votre contenance avant de retourner auprès des malades. Surtout, ne leur communiquez pas la nouvelle. Le décès de leur médecin les inquiéterait trop.
Elle donna son assentiment dâun hochement de la tête, renifla bruyamment. Caron quitta la pièce en offrant une mine sombre. Le plus dur demeurait à accomplir.
* * *
En fin dâaprès-midi, le taxi sâarrêta devant la porte de la petite maison de la rue Dorion. Madame Caron descendit la première, attendit son mari avant dâaller sonner à la porte. Elle redoutait les minutes à venir. Déjà , elle avait mis une heure avant de surmonter sa propre douleur.
Le médecin agita le heurtoir contre la surface de bois, attendit un instant. Ãlise ouvrit, sourit en les voyant, commença :
â Maman, papaâ¦
Son attention fut attirée par les deux visages défaits, puis elle laissa tomber, dans un croassement presque inaudible :
â Charles!
â Je suis tellement désolé, répondit son père en ouvrant les bras. Jâai fait tout ce que jâai pu. Le pauvre se trouvait si fatiguéâ¦
â Charles!
Le cri déchira le cÅur des parents. Le docteur Caron se tourna vers son épouse.
â Peux-tu aller voir les enfants?
Elle acquiesça dâun signe de la tête, fit un effort surhumain pour refouler ses propres sanglots. Pendant ce temps, le père pénétra dans le petit hall toujours en enlaçant sa fille, ferma la porte dans leur dos tout en continuant dâune voix très douce :
â Je suis tellement désolé, ma grande. Je te demande pardon, je nâai pas pu lâaider.
Il lui parlait comme à une petite fille. Sa main droite tapotait doucement sa hanche, comme si, de nouveau, le geste vieux de trente ans suffirait à calmer ses pleurs.
* * *
Comme la marée, la grippe refluait lentement. à lâAcadémie Mallet, lors du départ de Thalie, un peu après six heures, des couchettes libérées depuis lâheure du dîner demeuraient vides. Quelques minutes plus tard, la jeune fille déverrouillait la porte du commerce de la rue de la Fabrique. En arrivant sur le palier du premier étage, elle rencontra Marie. Sa mère, déjà revêtue de son paletot, enfilait ses gants.
â Françoise ne viendra pas avec nous?
â Je préfère la voir bien au chaud, le temps de se rétablir tout à fait.
â De toute façon, elle ne le connaît pas aussi bien que nous.
La marchande acquiesça dâun signe de tête. Ensemble, elles descendirent au rez-de-chaussée.
â Le docteur Caron nous achetait des robes pour Ãlise alors que jâétais une petite fille, continua Thalie. Elle a continué de venir ici après son mariage.
â Surtout, tu as passé tous ces derniers jours avec lui.
Au moment où les deux femmes mettaient les pieds sur le trottoir, la plus jeune signifia à son aînée de mettre son masque. Bras dessus, bras dessous, elles gagnèrent la place dâArmes, puis sâengagèrent dans le chemin Saint-Louis.
â Nâaurais-tu pas aimé manger un peu? demanda Marie. Nous ne serons pas de retour avant neuf heures.
â Je ne pourrais rien avaler.
La mère caressa lâavant-bras de sa fille. Vingt minutes plus tard, elles empruntèrent la rue Dorion, sâarrêtèrent devant une petite maison dont toutes les fenêtres demeuraient éclairées. Elles reprirent leur souffle, se consultèrent du regard avant de se diriger vers la porte.
Une domestique, celle des Caron, vint leur ouvrir. Lâentrée minuscule permettait dâaccéder tout de suite au salon. On lâavait débarrassé de ses meubles, pour ne laisser que des chaises alignées contre les murs. Surtout, dans un coin de la pièce, une grande bière de chêne sâimposait aux
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