La mort bleue
demi soulevé. Il faut le faire manger, même sâil proteste.
Tout en parlant, lâhomme quitta la pièce, la jeune femme sur ses talons.
â Comment se porte-t-il? questionna-t-elle une fois dans le couloir.
â Je ne sais pasâ¦
â Vous ne commettrez pas une indiscrétion. Comme je travaille avec lui depuis lâouverture de ce centre, vous devez me considérer comme une amie. Son état de santé me préoccupe.
â Il paraît terriblement fatigué, ce qui ne devrait pas mâétonner, avec ses activités des dernières semaines.
Elle commençait à développer sa propre expertise, depuis son recrutement à titre de bénévole.
â Depuis dix jours, il prend une heure de sommeil ici, une autre là . Jamais une nuit complète, cependant, précisa-t-elle.
Lâhomme regarda les cernes profonds sous les grands yeux bleus, observa :
â Vous-même, mademoiselle Picard, êtes-vous certaine de bien vous porter?
â Ce nâest facile pour personne. Mais vous ne mâavez pas encore répondu. Comment va-t-il?
â ⦠Je suis inquiet. Dans son état de fatigue, tout peut arriver.
â Nous ne pouvons nous passer dâun médecin. Toutes les couchettes sont occupées. Je peux vous montrerâ¦
Caron laissa échapper un rire bref.
â Je vous crois sur parole, sâimpatienta-t-il.
â Je suis sérieuse, nous ne pouvons nous passer dâun médecin.
â Je resterai ici toute la journée⦠Je dois toutefois téléphoner à mon bureau afin de voir si des patients mâattendent. Dans ce cas, il faudra les orienter vers un collègue.
Lâhomme demeura songeur, sachant combien sa clientèle régulière souffrirait de sa défection.
â Mais le docteur Paquin devra trouver un remplaçant dâici demain.
Sans attendre, le praticien commença une tournée des malades. à quelques reprises, il passa dans le bureau de la directrice, vérifia lâétat des poumons de son gendre. à la fin de la journée, lâhomme ne se trouvait guère mieux et Peut-être un peu plus faible quâà lâaube.
* * *
à neuf heures, Thalie regagna lâappartement familial, rompue de fatigue et rongée dâinquiétude. Au moment de saluer les membres de sa famille, elle constata avec joie la présence de Paul Dubuc. Revêtue de sa robe de chambre, Françoise se tenait tout contre lui sur le canapé.
â Vous êtes venu voir notre convalescente, remarqua-t-elle dans un sourire. Nos attentions à tous demeurent la meilleure médecine.
â Françoise et Marie mâont raconté. Je vous remercie pour vos bons soins, déclara lâhomme en se levant, la main tendue.
Un peu rougissante, elle la serra tout en précisant :
â Ce nâest rien, les soins normaux pour une amie.
â Ces jours-ci, jâentends souvent parler dâamis qui se dérobent, prennent la fuite au premier éternuement. Ce genre dâépreuve permet de jauger nos proches. Je vous resterai toujours reconnaissant. Mais je vous retarde, vous devez mourir de faim.
â Nous allons nous joindre à toi pour le dessert, annonça Marie depuis son fauteuil.
Avant de passer à la salle à manger, Thalie demanda encore :
â Amélie se porte-t-elle bien?
â Oui. Ma sÅur, Louise, la tient en liberté surveillée. Elle ne proteste pas trop car elle est effrayée, surtout avec la mésaventure de Françoise.
La grippe espagnole devenait une « mésaventure » pour le député. Combien de milliers de personnes dans la ville de Québec voyaient maintenant plutôt cela comme un drame? Une demi-heure plus tard, tout le monde rejoignait lâétudiante autour de la table, une fourchette à la main.
â As-tu vu les journaux, aujourdâhui? demanda Marie.
â Non, je nâen ai pas eu le temps.
â En Alberta, le gouvernement a décrété lâobligation de porter un masque en tout temps en dehors de la maison. Il nây a quâune exception, les repas.
â Cela me paraît plus prudent. Si lâon nâavait pas tant tardé, à Québecâ¦
Elle marqua une pause, baissa les yeux sur son assiette.
â Quelque chose ne va pas? demanda sa mère, soudainement alarmée.
â Ce matin, jâai trouvé le
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