La mort bleue
regards.
à la vue du cadavre, Thalie demeura interdite. La peau grise, les traits flétris ne rendaient pas justice à lâénergie émanant de lâhomme seulement quelques jours plus tôt. De nouveau, sa mère toucha son bras, la tira un peu pour lâamener près des prie-Dieu. à genoux, elle ne retint plus ses pleurs. De longs sanglots secouaient ses épaules. à la fin, elle réussit à articuler un seul mot :
â Merci.
Ce serait son dernier adieu. Sa mère posa son bras autour de ses épaules.
â Viens, des personnes attendent.
Thalie se laissa entraîner du côté de la pièce où les proches se tenaient au garde-à -vous, pour accueillir les visiteurs. Marie serra la main de la veuve, murmura quelques mots de réconfort, passa au couple Caron, puis aux enfants.
Thalie vint tout de suite après sa mère. Elle commença dans un souffle :
â Madameâ¦
La suite sâétrangla dans sa gorge. Ãlise contempla le petit visage, perdit son regard dans les grands yeux sombres.
â Vous êtes la jeune Picard.
â ⦠Oui.
Une nouvelle ondée de larmes lui monta aux yeux. La situation devenait ridicule. Alors, la veuve lui posa une main sur lâépaule en disant :
â Venez avec moi. Jâaimerais vous parler seule à seule.
Elle quitta son siège, lâentraîna dans son sillage vers la petite chambre dâEstelle. Elle sâassit sur le bord du lit, indiqua de la main lâespace à côté dâelle.
â Vous avez passé ces derniers jours avec lui.
â Oui.
â Sans interruption, de lâaube jusquâau crépuscule. Moi, jâétais confinée ici⦠Avec les enfants.
Ãlise paraissait considérer ces deux dernières semaines comme un vol. On lâavait privée de toutes ces heures avec son amoureux.
â Vous avez été en sa présence pendant toutes ces journées, jâen suis certaine, murmura Thalie.
Celle-ci continuait de croire fermement que la distance, et même la mort, ne séparaient pas vraiment les personnes liées par lâamour. Son interlocutrice la contempla un long moment, puis convint avec un demi-sourire :
â Câest vrai, il nâa jamais quitté mes pensées. Je comprends ce que vous voulez dire.
Ãlise prit la main posée entre elles sur le lit, la serra un moment.
â Pendant ces deux semaines, comment était-il? demanda-t-elle encore.
â Compétent, généreux. Si jâai une petite partie de ses qualités, je me considérerai très heureuse.
â Vous les avez, je crois.
La veuve lui adressa un autre sourire infiniment triste, puis précisa :
â à la fin de votre premier jour au centre de soins, il mâa dit combien il vous appréciait.
Un nouveau flot de tristesse sembla submerger la jeune femme.
â Nous nâavons même pas été ensemble dix ans. Vous imaginez combien Dieu est cruel : nous nous sommes mariés il y a seulement un peu plus de neuf ans.
â ⦠Je ne connais rien de lâexistence. Depuis ma naissance, jâai vendu des rubans et jâai étudié comme si ma vie en dépendait. Je suis totalement innocente, je pense.
La pause laissait tout un univers de sous-entendus. Intriguée, Ãlise voulut connaître la suite.
â Mais?â¦
â Je préfère voir lâautre versant de votre constat. Dieu vous a accordé neuf ans avec une personne exceptionnelle. Ma perception est peut-être celle dâune petite fille. Cette pensée mâa beaucoup aidée, à la mort de papa. Depuis, je le porte toujours en moi. Il en va certainement ainsi du docteur Hamelin. Je suppose quâil reste quelque chose de lui dans ses enfants.
Les larmes coulèrent sur les joues de la jeune femme.
â Je dis peut-être une énormité, ajouta Thalie, mais le pire, pour vous mais aussi pour moi, dans une toute petite mesure, aurait été de ne pas le connaître.
Elle regarda sa compagne à la dérobée, effrayée de sa propre audace. La main serra encore la sienne. Ni lâune ni lâautre ne pourraient prononcer un mot pendant de longues minutes.
* * *
à leur retour dans le salon, Thalie put offrir ses condoléances au reste de la famille. Au moment où le docteur Caron acceptait ses paroles de réconfort, il retint sa main
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