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La mort bleue

La mort bleue

Titel: La mort bleue Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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mon mal de tête.
    * * *
    Le programme de la journée était connu de tous, car les journaux l’évoquaient à répétition depuis le mercredi précédent. À neuf heures, le cortège funèbre partirait du musée Victoria, le siège du Parlement depuis plus d’une année, pour se rendre à la cathédrale d’Ottawa. Cent mille spectateurs seraient assez braves pour affronter le froid humide de février. Afin de leur permettre de voir passer le cortège funèbre, le corbillard tiré par quatre chevaux noirs irait au pas.
    Le cortège funèbre devait passer par la rue Metcalfe, sous les fenêtres de l’hôtel où logeait Thomas. Au moment de sortir de la salle à manger, Élisabeth proposa :
    â€” Restons tout bonnement dans la chambre, bien au chaud. Tu verras passer le corps depuis la fenêtre. Si tu demandes au comptoir de la réception, on fera même venir un médecin ici.
    â€” Je tiens à me rendre à l’église. J’ai admiré cet homme depuis sa première campagne à titre de chef du Parti libéral, dans les années 1880. Je veux l’accompagner jusque-là. Je m’épargnerai toutefois la visite au cimetière.
    En parlant, il portait la main à son œil gauche, afin d’exercer une petite pression sur son globe oculaire.
    â€” Cela fait si mal?
    L’inquiétude marquait la voix féminine. Ce matin, elle ne tenait pas son bras pour s’appuyer, mais pour le soutenir.
    â€” La pire migraine de ma vie… Excepté les lendemains de veille, bien sûr. Sortir me fera le plus grand bien.
    Une demi-heure plus tard, ils quittaient l’hôtel pour rejoindre la rue Wellington et se diriger ensuite successivement vers Saint-Patrick et Rideau.
    â€” C’est absurde de fermer les portes de la cathédrale, remarqua la femme. Nous pourrions nous asseoir sur un banc et attendre bien au chaud.
    â€” Les organisateurs tiennent à ce que les membres du cortège entrent les premiers. Une façon de flatter nos élites, sans doute. Ensuite, seulement les détenteurs de laissez-passer entreront dans le temple.
    Thomas se pencha pour prendre un peu de neige sur le bord du trottoir et l’appliquer sur sa tempe gauche.
    â€” Ce froid me fouette un peu. Demeurer dehors un long moment me fera du bien.
    Le gros mensonge passa inaperçu. En réalité, sa vue de l’œil gauche se voilait, jusqu’à devenir opaque. Puis sa démarche devenait un peu erratique, comme après trois cognacs avalés trop vite.
    Ã€ peu de distance de la cathédrale, parmi une foule de gens respectables munis de laissez-passer, ils s’arrêtèrent pour occuper la plus haute des deux marches donnant accès à une maison. Thomas appuya son épaule contre le cadre de la porte, son dos contre l’huis.
    â€” Nous verrons très bien, d’ici.
    â€” Si le propriétaire nous demande de partir…
    â€” Tu lui adresseras ton meilleur sourire et, séduit, il nous offrira des chaises.
    Elle serra son avant-bras de la main, scruta son visage. L’air frais ajoutait un peu de rose à ses joues, cela la rassura un peu. Dans trente, tout au plus quarante minutes, ils se trouveraient assis dans le temple. Rassérénée, elle contempla le bel attelage de quatre chevaux noirs tirant un corbillard abondamment sculpté. Ses flancs en verre laissaient apercevoir le riche cercueil de chêne. Juste derrière cette voiture venaient sur deux rangs les quatorze notables, proches collaborateurs de l’ancien premier ministre, qui tiendraient les cordons du drap mortuaire au moment de son entrée dans l’église.
    â€” Je devrais me trouver parmi eux, murmura Thomas d’une voix pâteuse. J’y ai certainement plus de droit que le sénateur Laurent-Olivier David, ou même sir Lomer Gouin. J’ai donné à Laurier de magnifiques majorités dans Québec-Est lors de six élections générales.
    Il marqua une pause, ferma les yeux avant de jeter avec dépit :
    â€” Regarde ce petit prétentieux, certain de pouvoir venir à Ottawa pour occuper la place laissée vide.
    Il parlait du premier ministre Gouin. Marchand dans la Basse-Ville, Picard tolérait mal de se voir oublié lors de cérémonies semblables. Élisabeth se rapprocha de lui, serra son bras. Tout de suite après ces

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