La mort bleue
sera longue.
â Nous pourrons nous reprendre, jâespère⦠Serez-vous là demain, en soirée?
Thomas consulta son épouse du regard, puis il répondit :
â Ce sera avec plaisir. Nous rentrerons à Québec dimanche.
Le couple trouva son chemin pour sortir du vaste édifice. La température inclémente permettait aux chauffeurs de taxi de réaliser des affaires dâor. Après avoir fait la file pour se recueillir devant le grand homme, plusieurs badauds attendraient une voiture.
â Nous aurions peut-être mieux fait de profiter de lâoffre de Lapointe, murmura Ãlisabeth après une demi-heure à patienter, debout, les pieds sur le trottoir glacé. Il peut sans doute éviter aussi les queues de ce genre.
â Je ne me sens vraiment pas dâhumeur à faire la conversation avec qui que ce soit, rétorqua son époux.
Une voiture sâarrêta enfin devant eux. Après avoir donné lâadresse de leur hôtel, il continua :
â Dâailleurs, jâaimerais mâétendre en arrivant dans la chambre. Tu pourras te faire livrer un repas, si tu ne désires pas aller seule à la salle à manger.
â ⦠Tu nâas rien avalé de consistant depuis ce matin. Tu nâes pas raisonnable.
â Rien ne passerait.
Elle le contempla longuement de ses yeux inquiets.
â Es-tu certain de bien te porter?
â Je ne croyais pas que sa mort me ferait cet effet. Câétait un vieux monsieur⦠La première fois où je lâai vu, il dépassait déjà les cinquante ans. Sa disparition devrait mâapparaître comme la chose la plus naturelle du monde. Et pourtant, regarde lâétat où je me trouve.
Cela ressemblait à un grand chagrin dâamour. Ãlisabeth se retint de le lui dire.
* * *
La nuit se révéla atroce. Le côté gauche du crâne vrillé par une douleur intense, Thomas aurait aimé trouver un verre de cognac bien tassé afin dâanesthésier sa peine⦠malgré son estomac vide. Toutefois, en ces temps de prohibition, cette quête se serait déjà montrée difficile à Québec. Dans une ville aussi puritaine quâOttawa, la démarche ne donnerait rien.
En se levant, Ãlisabeth remarqua son teint blême dans la lumière du petit jour.
â Tu ne vas pas mieux?
â Je ne crois pas avoir fermé lâÅil plus dâune heure.
â Cela, je le sais. Tu mâas réveillée une demi-douzaine de fois.
Son époux lui adressa un sourire gêné, afficha une mine désolée.
â Quand le curé évoquait le pire, lors de notre mariage, conclut-il, il parlait sans doute des migraines.
Elle le regarda sortir du lit, le trouva fragile dans sa chemise de nuit.
â Au lieu de nous rendre aux funérailles, remarqua-t-elle, mieux vaudrait chercher un médecin. Ton état mâinquiète un peu.
â Je ne veux pas rater ce dernier rendez-vous avec un vieil ami. Et puis, tu sais, je pense que tous les médecins de la ville seront avec nous, aujourdâhui, sur le trajet du cortège.
â Ne commets aucune imprudence. Tu te souviens de lâété dernier.
Thomas se souvenait très bien. Deux sujets avaient meublé ses pensées, au cours de la nuit : les réminiscences de sa longue carrière dâorganisateur politique dans la Basse-Ville de Québec et ses ennuis de santé récents. Le décès dâun proche, parent ou ami, ramenait toujours à sa propre finalité. Déjà , songeait le commerçant, une majorité de ses connaissances se trouvaient dans lâautre monde.
â Je suis sérieux, tous les cabinets de médecin de la ville seront fermés ce matin. Si cela ne va pas mieux cet après-midi, nous pourrons rentrer tout de suite à la maison. Je ne doute pas que Caron accepte de venir me voir en soirée.
Lâengagement parut raisonnable à Ãlisabeth. Un pur inconnu ne saurait pas comment interpréter les symptômes de son mari. Quand celui-ci entra dans la salle de bain, elle demanda encore :
â Ce matin, tu viendras déjeuner. Ton malaise tient Peut-être seulement au fait que tu as lâestomac vide.
â Je tâaccompagnerai, mais ce sera sans doute pour boire une simple tasse de thé. Je garde une petite envie de vomir depuis hier. Cela tient sans doute Ã
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