La mort bleue
cérébrale sévère. Si aucune récidive ne se produit dans les deux prochaines heures, ce sera un signe excellent. Demain marquera une nouvelle étape.
â Encore vingt-quatre heures et il sera sauvé?
Lâespoir écarquillait les yeux de la jolie femme.
â Si les symptômes de sa paralysie sâamenuisent, cela voudra dire de meilleures chances. Toutefois, il continuera à souffrir dâhypertensionâ¦
Devant le regard désespéré de son interlocutrice, Landry décida de laisser le médecin de famille du patient évoquer les mauvaises nouvelles. Cet homme risquait fort dâêtre sous terre dans six mois.
â Gardez espoir. Parfois la prièreâ¦
Ãlisabeth choisit de ne pas entendre les derniers mots, prononcés le plus souvent en présence de cas désespérés.
â Vous avez parlé de paralysieâ¦
â Tout son côté gauche. Mais déjà , il semble récupérer un peu de sensibilité dans le bras et la jambe. Ces symptômes peuvent disparaître tout à fait au cours des prochaines heures.
â Puis-je le voir?⦠demanda la femme en se levant.
Le médecin posa la main sur son avant-bras pour lui dire doucement :
â Bien sûr. Je dois toutefois vous prévenir, sa vue vous surprendra. La paralysie lui donne une allure étrange. La bouche demeure tordue, il sâexprime avec beaucoup de difficulté.
Elle hocha gravement la tête, continua vers la porte de la chambre, le médecin sur les talons. Malgré lâavertissement, elle demeura un moment interdite, dut faire un effort pour accrocher un sourire sur son visage. Thomas fixait sur elle son Åil droit alors que le gauche paraissait ne plus lui obéir. Puis sa bouche dessinait un trait oblique au milieu du visage, la bave se répandait sur la joue gauche. De ce côté, son bras immobile se terminait par des doigts tout crispés.
â Mon amour, comme tu mâas fait peur!
â â¦
La réponse, dans un souffle, lui parut dâabord totalement incompréhensible. à la troisième tentative, elle devina : « Désolé ».
â Ne dis pas cela.
Elle prit une pièce de lin sur le meuble de chevet, essuya un peu la salive sur le menton.
â Je vais rester près de toi. Ne tâen fais pas, les choses sâaméliorent déjà .
Elle approcha une chaise pour la mettre à la droite du lit étroit; lâallure du profil gauche la troublait au point de lui faire perdre sa contenance. Le médecin se montrait plus familier de ce genre de situation. Il se pencha sur son patient, lui posa la main sur la poitrine.
â Je reviendrai vous voir en fin dâaprès-midi. Dâici là , je dirai à lâinfirmière de vous servir un peu de bouillon.
Le malade répondit dâune grimace plus éloquente que son grognement.
Pendant les heures suivantes, Thomas alterna entre le sommeil et les moments de conscience inquiète. Ãlisabeth consultait sa montre discrètement, additionnait les minutes. Landry avait évoqué une période de deux heures comme une étape significative. Pendant tout ce temps, elle hésitait sur lâattitude à adopter. Dâun côté, son devoir exigeait quâelle avertisse les enfants, Ãdouard et Eugénie. De lâautre, les appeler au chevet de leur père ne constituerait-il pas une démission face à la maladie? Ce serait admettre le caractère désespéré de la situation.
* * *
La directrice du petit hôpital des sÅurs de la Charité, le visage encadré par le tissu de son uniforme, assurait de sa voix la plus apaisante :
â Vous savez, Madame, les derniers sacrements et la confession ne font jamais mourir personne. Dâun autre côté, dans lâétat de votre mari, il serait dangereux de négliger ces précautions.
Elle voulait dire « dangereux pour le salut de son âme ». Ãlisabeth accepta dâun signe de la tête. Le prêtre se trouvait déjà là , accompagné dâun servant de messe. Tout dâabord, il avait été seul dans la chambre du malade, le temps dâentendre ses péchés. Pour lâextrême-onction proprement dite, la présence de tiers était non seulement tolérée, mais souhaitée.
Ãtendu dans un lit étroit, vêtu dâune simple chemise de
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