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La mort bleue

La mort bleue

Titel: La mort bleue Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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nuit, Thomas reposait sous un grand crucifix noir, dans une chambre discrète, loin des grands dortoirs communs. Son visage présentait une teinte d’un mauvais gris. Tout le côté gauche paraissait encore tordu, l’œil à demi clos, le coin de la bouche affaissée. Un filet de bave s’en échappait pour couler sur la joue.
    Le prêtre, son étole autour du cou, traça une première croix sur le front du malade avec son pouce. Il continua en effleurant successivement le nez, les yeux, les mains, les pieds, laissant chaque fois une mince pellicule d’huile sainte.
    Ã‰lisabeth entendait les mots sans en saisir vraiment le sens.
    â€” Par cette sainte Onction, le Seigneur vous pardonne tout ce que vous avez fait de mal, par la vue, par l’odorat, par le toucher…
    Ses yeux ne pouvaient se détacher de ceux de son homme, remplis de terreur. Le prêtre récupéra ensuite une petite boîte de nacre sur le chevet, en sortit une hostie pour la placer sur la langue du malade. L’homme tenta de déglutir pour l’avaler, n’y arriva pas. Le morceau de pain se dissolva bien vite avec la salive.
    Après une dernière bénédiction, un masque grave et préoccupé sur le visage, l’ecclésiastique quitta la pièce, son servant de messe sur les talons. La femme eut l’impression qu’il jetait vers elle un regard réprobateur, comme si sa présence était de trop. La religieuse s’approcha du lit, recouvrit le corps d’un drap tout en murmurant :
    â€” Je suis certaine que vous vous sentez mieux maintenant, monsieur Picard, avec une âme toute blanche comme celle d’un nouveau-né.
    Les yeux de Thomas ne témoignèrent pas d’une immense satisfaction à ce propos. Il articula péniblement.
    â€” Seul… avec ma femme.
    Quelques heures après son attaque, tout le côté gauche de son corps demeurait paralysé. Cependant, il éprouvait de la douleur si on le piquait avec une aiguille. Même si son bras ressemblait encore à un morceau de bois mort, avec ses doigts un peu tordus, ce constat permettait au médecin d’afficher maintenant un optimisme prudent. Puis, son visage paraissait retrouver un peu sa mobilité. Si on écoutait avec une extrême attention, ses mots devenaient à peu près intelligibles.
    â€” Vous voulez parler avec madame?
    Le souhait paraissait incongru à la soignante. Le malade fit un geste affirmatif de la tête. Elle se retira un peu de mauvaise grâce, en disant :
    â€” Surtout, ne vous fatiguez pas.
    Ã‰lisabeth prit la chaise placée contre le mur pour l’approcher et s’asseoir à son chevet, puis s’inclina vers lui. Pendant tout ce temps, il la suivait de ses yeux brûlants.
    â€” Je suis tout près, maintenant.
    â€” Je… veux… dire…
    Chacun de ses mots venait avec difficulté, déformé par le rictus permanent de la bouche. Il fallait reconstituer ses phrases, ajouter les mots manquants, pour en saisir parfaitement le sens.
    â€” Je ne veux pas mourir en te cachant cela. La confession au curé…
    Il eut un geste de la main droite, comme pour chasser une mouche, comme si la formalité accomplie un peu plus tôt lui paraissait futile.
    â€” Mais je veux recevoir ton pardon.
    Elle s’habituait au débit très lent, à la prononciation à la limite du perceptible, même au désespoir dans les yeux.
    â€” Voyons, je n’ai rien à te pardonner.
    De la main droite, il lui signifia de se taire.
    â€” Tu te souviens, la nuit de sa mort…
    Elle le regarda sans comprendre, totalement perdue.
    â€” Alice, grogna-t-il.
    â€” La nuit où Alice est morte?
    Une main glacée se ferma sur le cœur de l’épouse, ses yeux prirent une dureté nouvelle, comme si une part d’elle-même devinait déjà.
    â€” Je suis allé dans sa chambre après toi.
    Le silence, entre les mots murmurés, devenait très dense, comme l’acier.
    â€” Elle était là, sa respiration sifflante, la sueur couvrait son visage et son cou.
    Il s’interrompit encore, reprit après un long moment :
    â€” Te souviens-tu de la chaleur dans cette pièce? Et l’odeur… Cela me levait le cœur.
    Ã‰lisabeth se souvenait très bien du mélange des excréments dans le pot de chambre, de la crasse de son

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