La mort bleue
quitta la maison de la rue Scott.
* * *
La boutique ALFRED fermerait ses portes dans quelques minutes. Ãlisabeth entra en cherchant des yeux la propriétaire des lieux. Thalie se tenait derrière la caisse, souriante.
â Ãtes-vous revenue pour les grandes vacances? demanda la visiteuse en tendant la main.
Le tutoiement, naturel avec la fillette quelques années plus tôt, ne convenait plus avec une jeune femme quâelle rencontrait tout au plus deux fois lâan.
â Oui. Je travaillerai ici tout lâété. Ce sera le dernier. Lâan prochain, je tenterai de dénicher une occupation plus en harmonie avec mes études.
La jeune fille marqua une pause, regarda lâescalier, puis ajouta un ton plus bas :
â Je vous offre mes sympathies pour le décès de votre mari. Je nâai pas eu lâoccasion de le faire plus tôt.
â Merci, vous êtes gentille.
Le bruit des chaussures, sur les marches, lâamena à lever les yeux. Marie arrivait, un sourire contraint sur les lèvres.
â Je ne vous ai pas fait attendre trop longtemps, jâespère?
â Je viens tout juste dâarriver.
â Jâai réservé une table dans le petit restaurant en face de la place dâArmes. Nous y avons déjà mangé.
â Je me souviens.
La marchande salua sa fille dâun signe de la tête, puis elle saisit le bras de sa compagne pour lâentraîner vers la sortie. Au moment de mettre le pied sur le trottoir, elle dit dâune voix peinée :
â Mes condoléances.
Ãlisabeth caressa les doigts de sa compagne, posés au pli de son coude.
â Vous comprenez, je ne pouvais me présenter aux funérailles.
â Je sais. Je vous remercie de tout mon cÅur.
Plutôt que de traverser la place encombrée par la circulation, elles se rendirent devant la cathédrale, sâengagèrent sur la chaussée de la rue Buade. De lâautre côté, Ãlisabeth trouva le courage de transmettre un dernier message.
â Thomas mâa exprimé ses regrets pour ce quâil vous a fait.
Les doigts de sa compagne se resserrèrent sur son bras en une crispation douloureuse.
â Ce furent presque ses dernières paroles.
â Il aurait pu me dire cela en face.
â Vous ne lâauriez pas écouté.
Marie resta coite jusquâà ce quâelles arrivent au restaurant.
â Vous avez raison.
Avant dâentrer, elle demanda, curieuse :
â Quels furent ses derniers mots? Enfin, si ce nâest pas indiscret.
â Il mâa demandé de lui lire Le Soleil . Lâarticle donnant les résultats du plébiscite sur la prohibition.
Sa compagne laissa échapper un rire nerveux, secoua la tête.
â Je nâaurais pas dû vous le demander. Cela me le rend presque sympathique.
Un serveur les conduisit à une table placée près des grandes fenêtres. à cause du beau temps de ce début mai, de nombreux promeneurs allaient et venaient sur la place dâArmes.
â Nous avons évoqué mes malheurs, commenta Ãlisabeth après avoir commandé son repas. Changeons de sujet. Comment vous portez-vous?
â Très bien. Vous lâavez aperçue, ma fille se trouvera avec moi tout lâété. Elle est jolie, intelligente et têtue en diable. Surtout, Mathieu arrivera à Québec demain. Son navire a jeté lâancre à Halifax ce matin.
â Il paradera donc avec son bataillon.
â Câest le mauvais côté de cette journée : je pourrai le voir marcher au pas sous mes fenêtres si je le veux, le contempler de loin à la cathédrale ou au Manège militaire. Toutefois, je ne le serrerai dans mes bras quâen soirée seulement.
Ãlisabeth hocha la tête pour lui signifier sa sympathie.
â Il aura été parti près de deux ans.
â Vingt-deux mois. La guerre est terminée depuis novembre. Tout ce temps supplémentaire a joué sur mes nerfs, même si je le savais en sécurité.
La conversation porta ensuite sur divers sujets, au gré de lâinspiration du moment. Après avoir été débarrassée des assiettes du plat principal, Marie remarqua :
â Dorénavant, je suppose que vous demeurerez dans la grande maison avec Ãdouard et sa famille.
Son invitée devint songeuse.
â Je lui ai annoncé hier que ce
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