La mort bleue
exprimer mes regrets à Marie. Je lui ai fait du tort.
â Tu pourras le faire bientôt.
De nouveau, Thomas préféra fermer les yeux et taire sa protestation. Après un silence, il demanda dans un souffle à peine audible :
â Accepterais-tu de faire quelque chose pour moi?
â Oui, bien sûr.
â Va chercher le journal et lis-moi les résultats du plébiscite.
â Voyons, tu nâes pas sérieux.
Lâombre dâun sourire passa sur les lèvres du malade.
â Sâil te plaît.
Elle alla récupérer la copie du Soleil abandonnée dans la salle à manger, reprit place sur son siège et commença de sa voix douce :
â Le premier ministre Gouin a gagné son pari dâune prohibition « mitigée ». Seulement sept comtés se sont opposés à sa proposition de permettre la vente de la bière et du vin.
Thomas hocha légèrement la tête.
â Tu es étrange, constata-t-elle. La politique pour te détendre, dans une situation pareille.
Après cette nouvelle interruption, elle recommença :
â Seuls sept comtés ruraux du Québec ont appuyé la prohibition totale : Compton, Brome, Richmond, Stansteadâ¦
Elle entendit Thomas exhaler un long soupir, ne perçut pas son effort pour aspirer.
â ⦠Dorchester, Huntingdon et Pontiac. Les villes ayant déjà tenu des consultations populaires sur le sujet devront toutefois demeurer fidèles à la réglementation en vigueur.
Pendant un moment encore, elle continua de lire, évoqua la loi américaine de Volstead adoptée en janvier dernier. Elle avait fait de tous les Ãtats-Unis un territoire sec. Bientôt, lâinfirmière entra dans la pièce. Dâun regard, Odile constata le décès de son client, posa ses deux mains sur les épaules de la veuve, exerça une légère pression.
â Madame, il nous a quittés.
Ãlisabeth replia le journal, étrangla un sanglot.
â Sans un bruit, sans un mot, souffla-t-elle. Aucune plainte.
â Je nâai jamais vu un homme lutter aussi fort et présenter en même temps un calme semblable.
â Il a voulu maîtriser chaque minute de sa vie, réaliser toutes ses ambitions. Il lui restait tant à faire.
Ãlisabeth tendit la main pour fermer complètement les yeux demeurés entrouverts.
21
En fin de soirée, les rendez-vous discrets prenaient une tournure nouvelle. Fernand ne sâapprochait plus de la fenêtre, il recherchait plutôt les zones dâombre dans le grand salon. Le premier contact physique entre eux les rendait immédiatement fébriles. Après un baiser un peu chaste, ils se laissaient emporter par lâexcitation, joignaient la langue aux lèvres, les mains se perdaient bien vite sur des parties du corps sensibles aux caresses.
La crainte de se faire surprendre par un occupant de la maison ou dâattirer lâattention dâun passant dans la rue, les ramenait parfois à des conversations plus anodines, un verre à portée de la main.
â Arthur nâa pas eu beaucoup de chance depuis sa démobilisation, constata Jeanne après des baisers goulus.
â A-t-il passé lâhiver dans les chantiers forestiers?
Elle acquiesça :
â Avec la crise actuelle, il nâa rien trouvé dans les usines.
Les entreprises libéraient une main-dâÅuvre abondante. Après des années de plein emploi, la population renouait avec un chômage endémique.
â Que fera-t-il pendant la belle saison? demanda le notaire.
â De grands travaux de construction vont débuter à La Tuque. Ce sera encore un travail de force, mais comme il sait à peine lireâ¦
La conversation les intéressait médiocrement tous les deux. Les doigts de Fernand parcouraient le cou de la jeune femme, juste sous lâoreille. Elle bougea la tête dans un mouvement circulaire, offrit bientôt sa nuque à la caresse. Il posa les lèvres sur la peau, joua des dents sur la surface très douce, juste sous les cheveux. Sa main saisit un sein, insista sur la pointe.
Jeanne se tourna vers lui, offrit sa bouche entrouverte. Le jeu de langue favorisa dâautres contacts plus intimes. Une large main se posa sur son genou, remonta doucement à lâintérieur de la cuisse, apprécia la douceur tiède de la peau entre son bas et le
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