La mort bleue

trompé au moment du mariage, car tu n’étais plus… innocente et en plus tu m’as dissimulé l’existence de ton fils. Je me demande si cela ne constitue pas une cause d’annulation de notre mariage, en vertu du droit canon. Je connais bien le personnel de l’archevêché, je pourrais m’informer dès demain.
    Le sang se retira du visage de la jeune femme, la tête lui tourna un peu.
    â€” Tu es cruel.
    â€” Moi, cruel? Quand tu monteras te coucher, tu te remémoreras nos cinq années de mariage. Ce que je fais avec Jeanne ne te prive de rien. Tu y as renoncé de ta propre initiative. Au contraire, mon… infidélité te permettra de t’isoler dans ton petit salon à ta guise, un petit roman français à la main.
    Le notaire doutait fort de la sympathie d’une cour ecclésiastique pour sa situation. Ces célibataires porteurs de soutane souhaitaient l’indissolubilité du mariage des autres. Toutefois, Eugénie craindrait désormais plus que lui de rendre publics leurs curieux arrangements conjugaux. Ce serait risquer de voir sa faute exposée sur la place publique.
    Fernand quitta le canapé en poussant un soupir. En sortant de la pièce, la main posée sur la poignée de la porte, il se tourna pour dire encore :
    â€” J’ai été très malheureux depuis mon mariage avec toi. Récemment, Jeanne m’a apporté un peu de bonheur. Si tu veux détruire cela, tu le regretteras amèrement. Je t’en fais le serment sur la tête de toutes les personnes que j’aime.
    Il ferma doucement la porte dans son dos.
    * * *
    Toute de noire vêtue, Élisabeth demeurait séduisante, la taille à peine plus épaisse que vingt-deux ans plus tôt, au moment de ses épousailles avec Thomas. Elle enfilait son second gant de dentelle quand Édouard vint la rejoindre dans l’entrée.
    â€” Maman, je demeure encore bouleversé par notre conversation d’hier. Je comprends que tu préfères me vendre cette grande maison pour ne plus en assumer la responsabilité, mais je ne veux pas te voir habiter ailleurs.
    â€” Je t’ai donné mes raisons, fit-elle d’une voix douce, afin de ne pas être entendue par Évelyne.
    â€” Je sais bien que tu ne cesses pas de voir papa dans chaque pièce, dans les couloirs. C’est le cas pour moi aussi. Mais c’est une présence amicale pour nous deux.
    Autant avoir son père au-dessus de son épaule, scrutant tous ses gestes, l’avait agacé jusqu’à un mois plus tôt, autant cette présence lui manquait maintenant. Le fantôme bienveillant le rassurait, l’aidait à faire face à la réalité.
    â€” Bien sûr, tu as raison. Cette présence bienfaisante, je l’aurai n’importe où. La seconde raison que je t’ai donnée me paraît la plus importante.
    Le rose monta aux joues d’Édouard.
    â€” Les choses ne vont pas aussi mal, avec elle.
    â€” Évelyne ne semble pas le savoir, tu devras le lui expliquer.
    Les gants enfilés, elle regarda le chapeau de paille noir posé sur sa tête. Ses larges bords la protégeraient du soleil. Il laissait voir la chevelure abondante, d’un blond riche et foncé. Elle apprécia sa mine avant de conclure la conversation :
    â€” Une chose me paraît certaine. Un couple dans votre situation n’a pas besoin d’une belle-mère, veuve et morose de surcroît, dans son environnement immédiat.
    â€” Moi, je t’ai aimée depuis le tout début. Nous nous entendons toujours aussi bien.
    â€” Et en prenant une certaine distance, nous nous assurerons de continuer à nous aimer. Mais je sais de quoi je parle : tu dois te rapprocher d’elle, partager son intimité. Sinon, votre vie à tous les deux deviendra un enfer.
    Ã€ la fin, il acquiesça d’un signe de la tête.
    â€” Quand veux-tu nous quitter?
    â€” Je commencerai dès la semaine prochaine à regarder où je désire aller vivre. Il faudrait boucler la vente d’ici deux, trois semaines.
    â€” Je ferai le nécessaire. Mais cela me rend très triste. J’ai un peu l’impression de perdre mes deux parents l’un à la suite de l’autre.
    Â«Â Si cela te permet de devenir un adulte, tant mieux », songea-t-elle. Elle lui caressa la joue du bout des doigts, puis