La mort bleue
nâétait pas mon intention. Servir de chaperon à un jeune couple ne me dit rien.
â Vous pourrez vivre de vos rentes où bon vous semble.
Une certaine frustration pointait dans la voix de Marie, alimentée par une pointe de jalousie, peut-être.
â Le notaire Dupire mâassure que je pourrais le faire. Cela ne me dit rien. Jâaurai bientôt quarante et un ans. Je me vois mal passer mes journées à lire les pages féminines des journaux. Imaginez si je vis encore quarante ans! Vous-même avez préféré travailler.
â Je ne connais pas la valeur de lâhéritage de votre mari, mais je suppose que vous pouvez vous permettre de ne rien faire. Moi, je nâavais pas vraiment le choix. Si jâétais restée inactive, avec la hausse des prix à la consommation pendant la guerre, je serais sans le sou, aujourdâhui. Mon commerce mâoccupe et surtout il me permet de bien vivre.
â ⦠Me promettez-vous de ne pas vous moquer de moi?
La blonde paraissait intimidée, tout dâun coup. Lâautre hocha la tête.
â En venant à notre rendez-vous, je me suis demandé si vous accepteriez de mâengager comme vendeuse.
â ⦠Vous ne connaissez rien à ce travail, puisâ¦
â Vous ne me faites pas confiance, glissa-t-elle. Je pourrais apprendre tout aussi bien que les jeunes filles à votre emploi.
Ãlisabeth baissa les yeux, contempla ses mains un moment.
â Je ne doute pas de vos capacités, la rassura son interlocutrice. Mais je ne veux pas avoir une employée plus âgée que moiâ¦
Un peu plus et elle ajoutait « ⦠plus riche, avec plus de prestance et comptant des relations dans toutes les rues de la Haute-Ville ».
â Du côté du magasin PICARD⦠enchaîna-t-elle.
â Ce serait sans doute possible, mais je porterais ombrage à Ãdouard.
â Alors à la place, vous avez pensé à me porter ombrage à moi, déclara Marie.
â Je ne vous ai pas élevée.
Le constat les fit rire toutes les deux. La marchande versa du thé dans les deux tasses.
â Je ne peux tout de même pas demeurer à ne rien faire, conclut son invitée.
â Avez-vous de grands moyens financiers?
â Pas assez pour mâenivrer de loisirs dispendieux. Une croisière autour du monde est hors de ma portée⦠et je devrais revenir, tôt ou tard.
Marie goûta la boisson chaude, commanda un dessert au serveur.
â Je ne pensais pas à cela, précisa-t-elle ensuite. Vous pouvez investir, vous acheter un commerce.
â Je ne connais rienâ¦
â Je parie même que vous pourriez vous verser une rente suffisante pour bien vivre pendant le reste de votre vie et conserver encore de quoi investir.
Ãlisabeth demeura songeuse. à la fin, elle convint :
â Vous avez raison, bien que les chiffres ne soient pas mon fort. Votre objection de tout à lâheure demeure toutefois valable : je ne sais rien faire. Même si je me lançais dans le commerce des vêtementsâ¦
â Je vous en voudrais à mort.
Sa compagne demeurait souriante, mais le timbre de sa voix exprimait sa sincérité.
â Je ne veux pas gaspiller le reste de ma vie à papoter avec mes voisines. Je nâai jamais été bonne à ce jeu, de toute façon. Mais je ne sais pas comment mâoccuper.
â Je demeure convaincue que vous pourriez trouver un endroit où investir.
â Vous avez des suggestions, à part le commerce des vêtements?
Exprimer une opinion était facile. Toutefois, elle-même nâavait pas eu à choisir un secteur dâactivité.
â Il ne mâen vient quâune. Thalie a passé les derniers mois dans une pension tenue par une veuve. Bien des femmes se retrouvent avec une grande maison sur les bras.
â Je viens de vendre la mienne à Ãdouard.
â Ce qui vous donnera de quoi en acheter une autre.
Marie fit bon accueil au morceau de tarte apporté par un serveur. Après quelques bouchées, elle leva la tête pour regarder sa compagne dans les yeux.
â Que diriez-vous de souper encore avec moi, la semaine prochaine? Dâici là , lisez les petites annonces des journaux. Cela vous donnera une idée de ce quâil y a à vendre et de ce que vos concitoyens désirent acheter.
â Serez-vous mon
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