La mort bleue
sujet de sa situation amoureuse avec toi? demanda Marie.
â Pas vraiment. Enfin, elle évoque ses craintes, le fait quâil lui manque⦠mais sans donner plus de détails. Pourquoi?
Le regard de la femme demeurait fixé sur le couple tourbillonnant. La jeune fille afficha dâabord une certaine réserve, puis son cavalier trouva les mots pour la faire rire. Son visage sâanima soudainement, engageant et séduisant.
â Mathieu a décidé dâaller défendre lâempire et la civilisation, alors quâici un cÅur commençait à battre pour lui. Sâil y avait été forcé, ce serait plus facilement acceptable.
Cet enrôlement volontaire lui demeurait en travers de la gorge. Les conscrits subissait leur sort; lui lâavait choisi.
â Des mois plus tard, Françoise ne peut demeurer à se morfondre dans son coin. Elle est jeune et jolie, désireuse de se le faire dire par des garçons de son âge. Je viens de lui signifier quâelle pouvait accepter lâinvitation de celui-là .
Paul examinait, lui aussi, les danseurs depuis un moment. Il commenta :
â Le temps dâune valse, cela ne compte pas.
â Mathieu sâest éloigné dâelle le temps dâune guerre. Les journaux évoquent encore une année de conflit. Elle ne doit pas jouer à la recluse, ce serait malsain, à son âge. Puis, personne ne sait sâil reviendra, ni dans quel état.
â Penses-tu quâelle devrait rompre, chercher un autre⦠candidat au mariage?
Marie tourna la tête pour regarder son compagnon, puis elle murmura :
â Je ne le lui conseillerai pas, bien sûr. Mais je ne lâinciterai certainement pas à refuser de vivre sa vie, de connaître dâautres jeunes gens. Je lâaime trop pour lâamener à mettre son bonheur en jeu.
â Imagines-tu comment ton fils prendrait la nouvelle de son mariage avec un autre?
â Nous ne savons même pas comment ses sentiments à lui ont évolué.
â Il nâa certainement pas lâoccasion de conter fleurette à des Françaises ou des Belges.
Le député disait cela sans trop de conviction. Tous ces jeunes gens mettaient leur vie en danger quotidiennement. Ils ne devaient avoir quâune envie, lors de brefs séjours à lâarrière : trouver une femme qui consente à offrir ses charmes, même contre de lâargent. Des régiments entiers paradaient en chantant Mademoiselle from Armentières . Les couplets, sans cesse modifiés par des soldats à la créativité de plus en plus grivoise, commençaient ainsi :
Mademoiselle from Armentières, Parley-voo ?
Mademoiselle from Armentières, Parley-voo ?
Mademoiselle from Armentières,
She hasnât been kissed in forty years
Hinky, dinky, parley-voo.
Lâun des derniers quatrains décrivait de façon réaliste lâétat dâesprit de ces hommes désespérés :
You might forget the gas and shell, Parley-voo?
You might forget the gas and shell, Parley-voo?
You might forget the groans and yells,
But youâll never forget the mademoiselles.
Hinky, dinky, parley-voo.
Marie nâavait pas besoin de se référer à des chansons de ce genre pour savoir que les militaires trouvaient des exutoires à leur terreur. Les journaux, dans les pages militaires, et les curés, dans leurs sermons, évoquaient cela à mots couverts. Bien plus, ces derniers ajoutaient même le danger pesant sur les jeunes âmes canadiennes-françaises au nombre de leurs motifs pour sâopposer à la conscription.
Marie émergea de ses réflexions pour dire, une infinie tristesse dans la voix :
â Je respecte le choix de Mathieu dâaller là -bas, même si je ne le comprendrai jamais. Je me réjouirai de son retour ou alors je pleurerai sa mort à en devenir folle.
Elle marqua une pause, comme si formuler la suite lui faisait peur.
â Toutefois, Françoise ne doit pas se sentir prise en otage au nom dâune fidélité un peu romantique. Comme tous les hommes, il a choisi son destin. Elle nâa pas eu cette liberté. Si elle me pose la question, je lui dirai quâelle est libre de regarder ailleurs. Si elle sâadresse à toi, dis-lui la même chose.
Sous leurs yeux, après une première danse, Françoise et Thalie se trouvaient
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