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La mort bleue

La mort bleue

Titel: La mort bleue Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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piétons qu’aux véhicules. Les plus arrogants, ou les plus ivres, souvent les mêmes, criaient des invectives aux passants. Les autres entendaient se faire les auxiliaires des services de recrutement.
    Ã‰douard pensa un moment rejoindre le commerce par la rue Desfossés, pour éviter l’escarmouche, puis il lâcha entre ses dents :
    â€” Ces ma ville!
    â€” Montre-moi tes papiers, damn frog ! insistait un soldat à l’intention d’un homme dans la jeune vingtaine, vêtu en bleu de travail.
    Le travailleur n’entendait pas obtempérer. Des deux mains, il poussa le militaire. Celui-ci s’accrocha les pieds à la bordure du trottoir, s’affala sur le dos. Sa chute fit monter la tension d’un cran. Un dragoon entreprit de faire payer son crime au coupable de lèse-uniforme. Il lança un coup de point rageur, que l’autre évita de justesse. Il répliqua d’un crochet qui atteignit sa cible.
    Au milieu de la chaussée, le conducteur d’un petit camion de livraison s’impatienta au point de passer en première vitesse pour avancer vers la barrière humaine. Le pare-chocs toucha les jambes d’un soldat, celui-ci se retrouva étendu par terre. Le véhicule s’arrêta tout juste avant que les roues ne passent sur son corps. Ses collègues se précipitèrent vers la portière en hurlant, attrapèrent le chauffeur par ses vêtements pour le tirer hors de l’habitacle par la fenêtre. L’autre s’accrochait au volant de toutes ses forces, certain de connaître un très mauvais sort entre leurs mains.
    Le directeur du magasin PICARD essaya de profiter de la pagaille pour s’engager dans la rue Saint-Joseph. Ce fut peine perdue.
    â€” Ces ivrognes ne viendront pas faire la loi dans ma ville!
    â€” Tes papiers, Frenchie , commanda un caporal en se plaçant devant lui pour l’empêcher de passer.
    â€” Vous n’avez aucun droit…
    Dans des moments de tension comme celui-là, l’élocution en anglais d’Édouard devenait laborieuse au point d’être incompréhensible.
    â€” Un homme de ton âge devrait se trouver au front.
    L’haleine du militaire empestait le gin de mauvaise qualité.
    â€” Montre-moi ton exemption, couard.
    â€” Mais je suis marié.
    Un peu tremblant, il lui montrait l’alliance à son doigt. Sur sa droite, le conducteur du camion réussit à engager de nouveau la première vitesse. S’il n’avançait pas pour prendre la fuite, les soldats finiraient par le sortir de son habitacle pour l’estropier. Heureusement, l’homme étendu sur les pavés un moment plus tôt s’était relevé pour se joindre aux assaillants.
    Le caporal intéressé par l’exemption d’Édouard porta son attention sur le véhicule. Saisissant l’occasion, le commerçant se dégagea et s’enfuit au pas de course dans la rue Saint-Joseph. Derrière lui, les ouvriers excédés se résolurent à ouvrir leur chemin à coups de pied et de poing. Comme leur nombre dépassait maintenant largement celui des militaires, ils y arrivèrent sans trop de difficultés.
    * * *
    Depuis quelques jours, Thomas conduisait lui-même sa Buick pour se rendre au bureau. La situation lui paraissait ridicule. Lui et son fils quittaient la maison exactement au même moment, chacun dans son véhicule, pour se rendre au même endroit. Édouard jouissait de sa liberté, elle s’incarnait maintenant dans une jolie petite voiture à deux places de couleur rouge.
    Après avoir parcouru le même trajet, son fils ne se trouvait jamais là en même temps que lui. Comment pouvait-on se perdre sur cette distance si courte et tellement familière? Puis, tôt le matin, la ville n’offrait guère de divertissements susceptibles de retarder un homme jeune. Plutôt que de s’interroger sur ce mystère, le commerçant préféra absorber dans le relevé des ventes de la semaine écoulée.
    Trente minutes plus tard, une exclamation rompit sa concentration.
    â€” Les salauds!
    La voix venait de l’antichambre de son bureau. Il quitta son siège pour se rendre dans la pièce voisine, afin de connaître le motif de cette commotion.
    â€” Ils bloquaient toute la largeur de la rue Dupont, poursuivait le jeune homme d’une voix

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