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La mort bleue

La mort bleue

Titel: La mort bleue Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-Pierre Charland
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excédée. Personne ne pouvait passer. Et ils demandaient les papiers de tout le monde.
    Ã‰douard faisait le récit de sa mésaventure à un chef de rayon dans la force de l’âge. Peu séduit par la participation à la guerre, celui-ci offrait une oreille sympathique aux récriminations.
    â€” Qui bloquait la rue? demanda le propriétaire de l’entreprise.
    â€” Des soldats, bien sûr. Ils se croient tout permis, comme si la province de Québec était un territoire occupé. Les Boches ne doivent pas se conduire différemment en Belgique. Une classe d’âge a été conscrite, mais cela ne leur suffit pas. Ils veulent nous expédier tous à la boucherie.
    â€” Ne dis pas de sottises. Je suppose qu’il s’agissait seulement d’un petit groupe de permissionnaires en état d’ébriété. À cette heure, je présume que la patrouille s’est occupée de les conduire au cachot.
    Le jeune homme se raidit un peu. Subir des remontrances de ce genre l’agaçait toujours. Devant un subalterne, cela heurtait son prestige de directeur. Un petit sourire ironique sur le visage du chef de rayon lui confirma son impression.
    â€” Les autorités militaires les encouragent! Ces gens-là ne devraient pas avoir le droit de quitter leur caserne. S’ils meurent d’envie d’aller se battre, le mieux serait de les expédier directement dans le port d’Halifax.
    Thomas s’apprêtait à renvoyer tout le monde à son travail quand une silhouette kaki entra dans son champ de vision. Il lui fallut un instant avant de reconnaître son secrétaire particulier, Augustin Couture. L’homme s’était absenté de son poste pendant les deux jours précédents, sans donner la moindre explication. Il réapparaissait maintenant, affublé d’un uniforme de sous-officier.
    â€” En voilà une surprise, murmura le grand patron, d’une voix étonnée.
    â€” Monsieur Picard, je viens vous présenter ma démission. Comme vous pouvez le constater, je me suis déniché un nouvel emploi.
    â€” Au service du roi d’Angleterre, railla Édouard.
    Thomas jeta un regard en direction de son fils pour le faire taire, puis observa :
    â€” Vous auriez dû venir discuter de vos projets avec moi. Après toutes ces années, je comprends votre besoin de changement de routine. Mais votre initiative me paraît un peu… excessive.
    â€” Je suis venu discuter avec vous, sans aucun succès.
    Un reproche teintait sa voix. La conversation sur sa promotion au poste de chef de rayon revint en mémoire du commerçant.
    â€” Vous ne m’avez pas dit que ce besoin de changement était aussi… profond.
    Le mot « désespéré » lui était d’abord venu à la bouche. Il paraissait un peu exagéré, dans ce contexte.
    â€” Cela aurait-il changé quelque chose à votre décision?
    Son employeur demeura silencieux. Il avait tenu à laisser son fils nommer les futurs chefs des rayons, afin d’établir son autorité et cultiver des fidélités. Cette attitude avait heurté son plus proche collaborateur.
    â€” À votre âge pourtant, vous ne risquiez pas la conscription, intervint Édouard. Il ne servait à rien de vous précipiter dans un bureau de recrutement. Votre classe ne sera pas appelée avant dix ans.
    Le jeune homme offrait toujours un visage amusé, comme s’il considérait la décision de Couture comme franchement ridicule.
    â€” Mais tous les habitants de Québec ne sont pas aussi lâches que vous, rétorqua l’ancien employé. Non seulement vous vous êtes marié pour vous dérober à votre devoir, mais au lieu de convoler avec votre jeune maîtresse de la Basse-Ville, vous avez cherché une petite sotte de la Grande Allée. Cela lui plaît-il, à la jeune madame Picard, de vous servir de sauf-conduit devant les services de recrutement?
    Ã‰douard fit un pas en direction de l’ancien secrétaire.
    â€” Je ne vous permets pas! Sinon…
    â€” Sinon quoi? Allez-vous me faire taire? Voyons, nous savons tous que vous n’en avez pas le courage. Dites-moi, après tous vos discours contre la guerre, cela ne vous gêne-t-il pas de partager les putains des bordels de la Basse-Ville avec les militaires?
    â€” Augustin, je vous prie de vous

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