La mort bleue
endroits, commenta le chauffeur.
â Un type du gouvernement me donne des informations. Il parle dâune quarantaine dâindividus dans le comté de Montmagny seulement. Il y en a certainement autant en Beauce et dans Lotbinière.
Ces quelques informateurs dispersés dans diverses officines de lâadministration publique permettaient à lâavocat de connaître les nouvelles un peu plus tôt que les journaux. Le plus souvent, il sâagissait de camarades du collège ou de lâUniversité Laval, toujours sensibles aux idéaux du mouvement nationaliste.
La vitre baissée, le bras appuyé sur le bord de la fenêtre, Ãdouard offrait lâallure dâun vacancier. Des gamins, attirés par le bruit du moteur, venaient près de la route afin de le voir passer. Les voitures ne se trouvaient pas si abondantes, plusieurs jours pouvaient sâécouler sans en apercevoir une. Les enfants les moins timides faisaient de grands signes de la main, le jeune homme les rendait de bon cÅur.
Les jours de pluie, de profondes ornières rendaient les routes à peu près impraticables. Au début dâun mois dâaoût plutôt sec, la poussière devenait un problème. La Chevrolet soulevait derrière elle un nuage dâun brun jaune qui mettait plusieurs minutes à retomber sur le sol. Pire, une pellicule couvrait le pare-brise plat, les essuie-glaces arrivaient avec peine à dégager à peu près deux demi-cercles propres sur la vitre.
Bientôt, le conducteur dut courber le dos, chercher des espaces à peu près nets afin de continuer à voir devant lui. à la fin, il pesta :
â Je vais mâarrêter à la prochaine ferme pour débarbouiller cela.
â Nous serons bientôt à Montmagny.
â Si je me retrouve dans le fossé, nous ne serons jamais à Montmagny!
Lâargument convainquit Lavergne. Un moment plus tard, le conducteur sâengagea dans lâallée longeant une maison construite de planches verticales rendues grises par les intempéries. Le son du moteur attira sur le perron une femme entre deux âges et une demi-douzaine dâenfants, le plus vieux âgé de neuf ans peut-être, le dernier à la mamelle. Les plus grands devaient avoir été recrutés pour les travaux des champs.
Ãdouard descendit du véhicule avant de demander :
â Pourrais-je avoir de lâeau pour décrasser le pare-brise?
â Le puits se trouve là , montra la mère en tendant la main vers lâétable. Georges va vous donner un coup de main.
Le plus âgé des enfants se mit en route vers la margelle de planches, suivi du reste de la ribambelle. Ãdouard lui emboîta le pas en évitant les bouses de vache encombrant la cour. Le garçon laissa tomber le seau de bois attaché à une corde dans lâouverture ronde. La chute se termina dans un «plouf» sonore. Un moment plus tard, il commença à tourner la manivelle.
â Je vais mâen occuper. Passe-moi lâautre seau, là -bas.
La corde sâenroulait sur une pièce de bois horizontale. Ãdouard attrapa le seau au moment où il atteignait le niveau de la margelle, en versa le contenu dans celui que tenait le garçon. Toujours suivis des plus jeunes, ils revinrent vers la voiture. Lavergne était descendu aussi. Il sâétirait afin de faire passer les courbatures causées par le long trajet.
â Il y a un torchon dans le coffre. Tu me le passes?
Lâautre obtempéra, revint en tenant une pièce de tissu graisseuse entre le pouce et lâindex, une mine de dégoût sur le visage. Ãdouard la lui prit des mains en disant :
â Fais une prière pour nous éviter une crevaison, car tu ferais la réparation.
â Tu nâes pas sérieux.
â Ce serait un bon moyen de payer ton passage. Papa a évoqué lâidée de te faire payer lâessence, mais il me semble quâune contribution plus⦠personnelle serait de mise.
â Je paierai lâessence.
En souriant, le conducteur trempa la pièce de tissu dans lâeau, puis débarbouilla le rectangle de verre renforcé du pare-brise. Le garçon se pencha au-dessus de la portière pour examiner lâintérieur de la voiture.
â Tu ne dois pas voir souvent des véhicules de ce genre.
Georges releva la tête pour
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