La mort bleue
agréable, après une journée trop chaude.
â Tu ne devais pas revenir aussi vite à Québec.
â Est-ce un reproche?
La main de lâhomme voyageait sur son corsage, certain de la réponse.
â Bien sûr que non. Mais tout de même, puis-je savoir ce qui me vaut ce plaisir?
â Je vais te donner la primeur, car demain les journaux ne parleront que de cela. Le gouvernement fédéral a décidé de poursuivre les personnes qui ont entravé le processus dâenregistrement, à la fin de juin. Des policiers se répandent dans les campagnes.
â ⦠Cela ne concerne pas le gouvernement provincial.
Les députés du gouvernement local se montraient très prompts à dire « Cela ne relève pas de nous » à des électeurs en colère, quand les questions du recrutement et de lâeffort de guerre venaient dans les discussions. Tous les Québécois se transformaient en spécialistes du droit constitutionnel.
â Le regain de tension nous préoccupe beaucoup. Ce sera à nous de faire face aux désordres. En réalité, nous tenons à nous préparer à ceux-ci. Ottawa ne fait quâenvenimer les choses en envoyant la troupe. Tu as vu ce qui arrive à Toronto.
Les journaux du matin avaient annoncé que la capitale de la province voisine passait sous la loi martiale. Ce développement couronnait une succession dâémeutes très violentes. Les Canadiens français ne réalisaient pas toujours combien la conscription paraissait odieuse à certains de leurs concitoyens dâune autre origine. Puis la hausse des prix des biens de consommation et les cadences infernales dans les usines pesaient sur la population civile. Les travailleurs payaient le prix fort de ce conflit, tandis que les entrepreneurs accumulaient les profits.
â Craignez-vous la répétition dâévénements de ce genre, ici?
â Effectuer des arrestations par dizaines ne calmera certainement pas les choses. Ils jettent de lâhuile sur le feu.
Depuis quelques secondes, lâhomme sâattaquait aux boutons de la blouse. Elle saisit les doigts dans les siens pour y poser les lèvres, puis demanda encore :
â Pour les arrestations, comment procèdent-ils? Je veux dire : ces policiers nâétaient pas là pour identifier les contestataires.
â Mais les registraires habitaient le plus souvent la localité. Imagine, si jâavais fait ce travail à Rivière-du-Loup, je serais en mesure de nommer tous les participants aux désordres, leurs parents et même leurs fiancées.
â En les dénonçant, ces hommes ne se feront pas des amis.
â Peut-être croient-ils en la justice?
De la part dâun avocat, la suggestion paraissait étrange. Marie se lassa de défendre ses seins des doigts curieux, alors quâelle inclinait plutôt à rendre les caresses. Elle se leva en disant :
â Viens.
Dans la chambre, elle demanda en détachant le bouton tenant sa jupe en place :
â Crois-tu que des parents peuvent se trouver orphelins?
â ⦠Je ne suis pas sûr de te suivre.
â Mathieu se trouve en Europe et, dans moins dâun mois, Thalie ira sâétablir à Montréal pour de longues années. Je me sens exactement comme il y a vingt ans, après la mort de mes parents, au moment où je me trouvais seule dans la vie.
En sous-vêtements, un peu échevelée, elle paraissait particulièrement vulnérable. Il la prit dans ses bras, murmura à son oreille :
â Tu vois tes enfants grandir, tout comme moi. Mais tu nâes pas seule. Je suis toujours disposé à passer devant monsieur le curé pour le prouver à la face du monde.
Au lieu dâentendre un nouveau refus à sa demande en mariage, il choisit de la museler avec un baiser goulu.
* * *
Le soleil disparaissait tout juste derrière les édifices de la ville quand les jeunes filles arrivèrent sur la terrasse Dufferin. à lâouest, le ciel prenait une teinte indigo, marquée de rose et dâorange à la ligne dâhorizon. Elles marchaient bras dessus, bras dessous, comme deux sÅurs plutôt dissemblables.
â Lâair est encore doux malgré lâheure, remarqua Françoise.
â Heureusement, car nous ne sommes pas bien couvertes.
Les robes de cotonnade légère, les chapeaux
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