La mort bleue
dire :
â Comme cela, rouge en plus, pas tellement souvent. Mais ce matin jâai vu quatre machines, bien plus grosses que la vôtre, remplies de personnes en uniforme.
â As-tu entendu? demanda Ãdouard à lâintention de Lavergne.
â Oui⦠Sans doute des policiers. Ils peuvent se rendre à Montmagny en train, mais pour parcourir les rangs, cueillir leurs clients, il faut des automobiles. Le contingent doit venir de Québec.
Quand le pare-brise fut à peu près transparent, lâautomobiliste donna une pièce de cinq cents au garçon, puis reprit le volant. Trente minutes plus tard, il trouvait le village de Montmagny en proie à une grande effervescence. Des personnes de tous les âges allaient et venaient dans les rues, formaient de petits groupes pour se disperser très vite ensuite. Comme lors de leur dernière visite en ces lieux, quelquâun reconnut Lavergne, alerta ses connaissances. Un cultivateur marcha rapidement vers la voiture rouge stationnée près de lâhôtel de ville et se pencha, afin de dire par la glace baissée du passager :
â Maître, ils ont arrêté mon garçon. Vous allez le défendre, nâest-ce pas?
â Je ne saisâ¦
â Jâai de lâargent pour vous payer.
Ces mots agissaient comme un sésame sur tous les avocats. Le disciple de Thémis se fit immédiatement plus attentif.
â Quel est le motif de lâarrestation?
â Il a brûlé les fiches, à Saint-Paul.
â Où se trouve-t-il, maintenant?
â En prison.
Lavergne connaissait la série de cellules minuscules, au sous-sol du palais de justice situé de lâautre côté de la rue. Les geôliers ne feraient aucun ennui à des hommes coupables dâun crime aussi respectable.
â Jâirai le voir avant de rentrer à Québec, cet après-midi. Peut-être pourrai-je le faire sortir avec une simple promesse de comparaître. Où se trouvent les policiers fédéraux?
â Ils sont descendus à Saint-Paul en caravane.
â Alors, nous irons aussi.
â Je vais demeurer sur la place, en attendant votre retour. Vous me trouverez ici, sans faute.
Le paysan voulait dire : « Je mâattends à ce que vous y soyez, sans faute. » Ãdouard considéra la conclusion de la conversation comme un ordre de marche. Il engagea la première vitesse, chercha la route conduisant dans les hauteurs. Au moment de tourner vers la droite, il remarqua :
â Tu as vu toutes ces personnes à ne rien faire sur la place du village? Câest étrange, pour un mardi. En plein été, ces gens devraient être aux champs, ou à lâatelier.
â Chacun de ces badauds doit craindre pour un proche. Les insoumis se révèlent nombreux dans les parages, puis il y a des dizaines de jeunes gens susceptibles de se faire accuser dâavoir résisté à lâenregistrement. Tous les habitants de la région doivent connaître quelquâun en querelle avec la loi.
â En tout cas, je me rends bien compte de ton sens des affaires. Ton opportunisme vaut celui des péripatéticiennes les plus déterminées. Je comprends maintenant comment tu peux te payer une suite au Château .
â Que veux-tu dire?
â Ne joue pas les innocents avec moi. Le 22 juin, je te soupçonnais dâencourager discrètement les manifestants qui ont brûlé les fiches. Aujourdâhui, tu accours afin dâoffrir tes services aux personnes arrêtées. Je ne devrais pas te faire payer lâessence, mais plutôt réclamer la moitié de tes honoraires.
La remarque attira sur lui un regard assassin. Une heure plus tard, ils découvraient le village de Saint-Paul soumis, lui aussi, à une agitation fiévreuse. La cause de lâeffervescence se trouvait bien visible en face de lâhôtel de ville : quatre grosses voitures de couleur kaki. Des dizaines de jeunes hommes tournaient autour, partagés entre la colère et la peur.
La tension monta encore quand des policiers sortirent du petit bâtiment municipal. Ils encadraient des hommes, des garçons plutôt, enchaînés deux par deux. Certains présentaient des visages ensanglantés, témoignant dâarrestations parfois brutales.
â Où les emmenez-vous? cria quelquâun.
Chacun des policiers portait un revolver
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