La mort bleue
moment interdite, puis elle porta les yeux vers le contenu de son porte-documents. Thalie sortit du sien le matériel nécessaire à la prise de notes, bien résolue à ne pas laisser son inquiétude affecter sa concentration au cours des prochaines heures.
Elle attendit ensuite le début du cours la tête bien droite, parcourant la salle semi-circulaire de ses yeux sombres. Les autres étudiants arrivaient lentement, un peu à regret. Plusieurs lui adressèrent un salut discret, comme il convenait pour une vague connaissance, puis ils cherchèrent leur cahier et leur porte-plume. Encore une semaine ou deux, et ceux-là se feraient à sa présence.
Dâautres fixaient des regards furieux sur elle.
Le cours de pathologie se déroula sans incident fâcheux. Un peu avant midi, elle chercha le décanat de la Faculté, découvrit une suite de pièces plutôt somptueuses au-dessus du hall dâentrée, au premier étage. Quand elle se présenta à une grande dame à lâair revêche, elle fut accueillie par un sourire un peu désolé, plein de sollicitude.
La secrétaire se dirigea vers une porte de chêne, frappa doucement avant dâouvrir pour annoncer :
â Monsieur le doyen, mademoiselle Picard vient dâarriver.
Elle se retourna bientôt pour dire :
â Le docteur Mann vous recevra tout de suite.
Lâemployée ouvrit la porte toute grande, sâeffaça à demi pour la laisser passer. Thalie pénétra dans un grand bureau un peu trop encombré de tables, de chaises et de fougères en pot, éclairé par de grandes fenêtres donnant sur les pelouses devant lâédifice. Un homme dâune cinquantaine dâannées quitta sa place pour venir vers elle, la main tendue, une attitude plutôt cordiale sur le visage, quoiquâun peu ennuyée.
â Mademoiselle, je vous remercie dâêtre venue me voir sans tarder.
â Le ton de votre message ne mâa pas semblé me laisser le choix, à cet égard. Je suis toutefois très heureuse de vous rencontrer. Depuis hier, je me demandais si jâoserais vous demander un rendez-vous. Votre invitation a mis fin à mon dilemme.
Lâautre marqua un temps dâarrêt, surpris de cette réplique, puis il lui désigna un fauteuil près de la croisée, sâinstalla en face dâelle. En choisissant de ne pas regagner sa place derrière son bureau, il entendait donner un caractère moins officiel à la conversation. Elle lui en fut reconnaissante.
â Monsieur McTeer sâest plaint de votre attitude, commença-t-il après une pause. Il réclame votre expulsion de notre Faculté.
Thalie garda ses yeux sur le visage du doyen, impassible, malgré son cÅur qui battait la chamade. Son interlocuteur enchaîna bientôt :
â Il vous reproche dâavoir utilisé un langage ordurier dans sa salle de classe.
â Je ne comprends pas.
â Vous avez traité lâun de vos camarades de⦠cochon.
Pour la première fois depuis le matin, elle esquissa un léger sourire.
â Je pense quâà chaque fois que quelquâun me criera de retourner à mes chaudrons, je verrai un groin et de grandes oreilles en pointe sur son visage. Toutefois, je nâai jamais utilisé ce mot. Si celui-là trouvait que ma place est dans une cuisine, je lui ai simplement rétorqué que la sienne était dans une porcherie.
Le doyen imaginait la scène, faisait un effort pour ne pas sâen amuser ouvertement.
â Ce professeur vous accuse aussi dâadopter une attitude insolente à son endroit.
â Moi, je lui reproche son manque de savoir-vivre. Alors que deux femmes se trouvent dans sa classe, il a feint avec ostentation de nous ignorer, tout en formulant à haute voix son désaccord face à la nouvelle politique de lâUniversité McGill en regard du recrutement des étudiants en médecine.
â ⦠Tous nâacceptent pas le changement de bonne grâce. Le docteur McTeer est libre de ses opinions.
â Et moi, des miennes.
Mann nâarrivait pas à déceler de lâinsolence dans la voix de sa visiteuse, seulement lâassurance dâêtre dans son droit. Au fond, elle lui paraissait bien sympathique.
â Si tout le monde retient un peu ses mouvements dâhumeur, je ne doute pas que
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