La mort bleue
lâannée se déroulera sans nouvel incident.
Thalie se demanda un moment si le professeur irascible sâétait vu adresser la même recommandation. Elle attendit de longues secondes avant de répondre :
â Je ne crois pas me distinguer par ma douceur, aussi je veux bien faire attention.
â Dans ce cas, ne parlons plus de cet incident⦠conclut le doyen en faisant mine de se lever.
â Mais avant de vous quitter, jâaimerais à mon tour formuler⦠un grief.
Lâhomme se cala de nouveau dans son fauteuil, déçu de ne pas clore le sujet tout de suite.
â Hier, le professeur McTeer a donné une leçon inaugurale un peu étrange. Voyez-vous, pendant une partie de lâété, jâai potassé les manuels dâanatomie humaine utilisés en première année de médecine dans quelques grandes universités américainesâ¦
Le doyen enregistra lâinformation dâun signe de la tête. Cette jeune femme ne laissait rien au hasard.
â Aucun de ceux-ci ne suggère de commencer une année académique par un exposé de deux heures sur lâappareil reproducteur féminin ou masculin.
â ⦠Mais il nâexiste pas de véritable règle, chaque professeur organise la matière à sa guise.
â Tout de même, quand le professeur commence par le chapitre douze du manuel dont il a lui-même recommandé lâachat, cela pousse à la réflexion.
Son interlocuteur se reprocha un moment de ne pas sâêtre mieux informé du déroulement de cette fameuse leçon. Il détestait apprendre le fil des événements de la bouche même de lâaccusée.
â Je veux bien admettre que le savant professeur McTeer, convaincu quâaucune femme ne devrait apprendre la médecine, a voulu prouver que nous ne pouvions entendre certains mots sans perdre conscience. Des mots comme pénis, testicules, scrotum, érection, éjaculationâ¦
Thalie sâarrêta pour fixer son vis-à -vis dans les yeux.
â Vous voyez, non seulement je peux les entendre, mais aussi les prononcer sans mâeffondrer. Tout le monde à la Faculté peut être rassuré à ce sujet. Une femme peut devenir médecin. Dâailleurs, nâest-ce pas déjà le cas dans de nombreux pays?
Son sourire interrogateur avait quelque chose de désarmant. Elle continua :
â Une pensée me trouble cependant. Peut-être le professeur McTeer ressentait-il un émoi coupable à utiliser ces mots devant deux jeunes femmes inexpérimentées, ignorantes des choses de la vie. En tout cas, moi, je le suis.
â ⦠Mademoiselle Picard!
â Oh! Je ne fais que formuler une hypothèse, vous jugerez mieux que moi de la situation. Je vous fais entièrement confiance, à ce sujet. Je ne vous ferai pas perdre votre temps plus longuement. Je vous remercie dâavoir bien voulu mâécouter.
Thalie se leva sur ces mots. Le doyen Mann fit de même, afin de la raccompagner. Avant dâouvrir la porte, il lui tendit la main en disant :
â Je vous souhaite bonne chance pour la poursuite de vos études.
Elle lui montra toutes ses dents dans un sourire resplendissant qui lui mit des fossettes aux joues, puis elle ajouta :
â Je suis terriblement présomptueuse, docteur. Aussi longtemps que le succès scolaire tiendra à lâintelligence, au travail et à la détermination, je regarderai lâavenir avec confiance, sans me fier à la chance.
â Nous serons tous les deux attentifs à ce que ces règles ne changent pas.
Quand la porte du bureau se ferma dans son dos, les yeux clos, la jeune fille laissa échapper un soupir de soulagement. Au moment de quitter les lieux, elle adressa un salut de la tête à la secrétaire.
â Alors, je ne vous souhaite pas bonne chance, mademoiselle Picard.
Lâemployée jeta les yeux en direction de la porte du bureau de son employeur. Au-dessus de celle-ci, le panneau vitré était grand ouvert, afin de laisser circuler lâair. Lâentretien ne sâétait pas déroulé à huis clos.
â Mais jâai eu la chance de tomber sur un homme comme lui. Câest déjà très bien. Je vous souhaite une très bonne journée.
Son avenir universitaire lui paraissait plus prometteur que la veille.
* * *
Le début du mois de
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