La mort du Roi Arthur
honorable dame de ce monde. J’aurais regretté toute ma vie de l’avoir laissée périr du fait de calomniateurs et de gens sans scrupules. Mieux vaut que ces gens-là soient morts en leur félonie, car ils étaient coupables d’avoir, par traîtrise ou par jalousie, comploté la perte de la reine. »
Arthur s’approcha et, tout attristé, parce que les paroles de Lancelot lui rappelaient la mort de ses neveux, prit Guenièvre par la main. « Roi Arthur, reprit Lancelot, si j’avais aimé la reine d’un coupable amour, comme on a voulu te le faire croire, je ne te la rendrais pas si facilement. Il m’était en effet aisé de tenir tête à tes armées pendant de nombreux mois, et tu n’aurais pu la reprendre par la force. » Le roi Arthur se sentait fortement ébranlé. « Lancelot, dit-il, je te sais gré d’avoir sauvé la reine et de me la rendre aujourd’hui. Tant de générosité pourrait t’être rendue quelque jour. »
C’est alors que s’avança Gauvain, rouge de colère, qui, d’emblée, apostropha Lancelot : « Certes, chevalier, de tout ce que tu as fait pour lui, le roi t’est reconnaissant ! Mais il te demande encore autre chose. – Quoi donc, chevalier Gauvain ? Dis-le-moi, et je m’en acquitterai bien volontiers, si la chose est en mon pouvoir. – Seigneur Lancelot, il te demande de vider sa terre le plus tôt possible, et de façon que l’on ne t’y rencontre plus jamais. » Outré que la fureur de Gauvain ne connût plus de bornes, Lancelot se tourna vers Arthur : « Roi, demanda-t-il le plus posément qu’il put, est-ce là ton désir ? – Oui, répondit Arthur avec embarras. Puisqu’ainsi le veut Gauvain, quitte ma terre et retourne en la tienne, qui est belle et riche, de l’autre côté de la mer.
— Cependant, repartit Lancelot, quand je serai en ma terre, m’y laisseras-tu en sécurité ? À quoi dois-je m’attendre, la paix ou la guerre ? » D’un ton hargneux, Gauvain répondit à la place du roi : « Lancelot, sois sûr que tu n’échapperas pas à la guerre. Tu l’auras même plus dure et plus implacable que celle que tu as subie jusqu’à présent. Et cette guerre continuera jusqu’à ce que mon frère Gahériet, que tu as tué par trahison, soit vengé aux dépens de ta vie. Car, pour ma part, je ne consentirai pas, dût-on m’offrir le monde entier, à troquer ta tête contre lui. »
À ces mots, Lancelot se sentit accablé. « Gauvain, protesta-t-il d’une voix chagrine, je n’avais aucune intention de tuer Gahériet, et si, par le plus grand des malheurs, je l’ai fait, c’est parce que je ne l’ai pas reconnu au milieu de la bataille. Sois assuré que je n’aimais aucun de mes parents autant que ton frère Gahériet, et lui-même m’avait bien des fois témoigné son amitié et son affection. Sa mort me demeure un deuil dont je ne me remettrai jamais. – Et Gareth ? Et Agravain ? s’écria Gauvain. Tu t’es acharné contre ma famille, et si Mordret s’était présenté devant toi, tu l’aurais tué, lui aussi ! » En entendant prononcer ce dernier nom, Lancelot ne put s’empêcher de frémir. « Mordret a fait en sorte de ne pas me rencontrer, répondit-il, et mieux vaut pour lui, car certes je ne l’aurais pas épargné ! Quant à Agravain et à Gareth, ils m’ont trahi par jalousie et par haine de la reine. – Ils ne te jalousaient aucunement ! repartit Gauvain. Ils ont seulement estimé que, par ta faute, l’honneur du roi se trouvait compromis. C’est plutôt toi qui portais de la haine à mes frères, et tu viens encore me provoquer en proférant des menaces envers Mordret ! – Laisse Mordret où il est, dit Lancelot. Des brebis galeuses, toutes les familles en ont. – Cesse tes insultes et va-t’en, puisque le roi tolère que tu t’en ailles sain et sauf ! »
Bohort s’avança alors et dit : « Gauvain, ta colère passe les bornes. Je puis t’affirmer que Lancelot ne te craint pas. S’il t’arrivait de débarquer dans le royaume de Gaunes ou dans celui de Bénoïc, sois sûr que tu risquerais d’y laisser ta tête. Tu as prétendu que Lancelot avait tué par traîtrise ton frère Gahériet ? Eh bien, je suis prêt à le défendre contre toi. Au cas où je serais vaincu dans cette épreuve, Lancelot en serait honni. Mais si, en revanche, tu devais t’avouer vaincu, tu serais tenu pour menteur, et les choses en resteraient là. De toute façon, mieux vaudrait que cette querelle
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