La mort du Roi Arthur
de Lancelot ! Mieux vaudrait commencer par détruire les châteaux et les villes d’alentour : ainsi n’aurions-nous plus rien à craindre d’eux, le moment venu d’assiéger les rois de ce pays. – Non ! s’écria Gauvain, tant l’aveuglait son désir de vengeance. Il faut d’abord s’attaquer aux maîtres et les réduire à l’impuissance. Quand ils verront Lancelot, Bohort et Lionel, morts ou prisonniers, tous les gens de ce pays feront leur paix avec nous. – Très bien, conclut Arthur, allons assiéger la forteresse de Bénoïc. »
Les troupes d’Arthur se mirent donc en marche en direction de Bénoïc. Mais, comme ils approchaient de la cité, le roi et ses compagnons rencontrèrent une très vieille femme qui, richement vêtue, chevauchait un palefroi d’une blancheur éclatante. Dès qu’elle eut aperçu le roi, elle alla vers lui et lui dit : « Roi Arthur, regarde attentivement la cité que tu es venu assaillir, et aussitôt tu comprendras que tu commets une erreur en suivant aveuglément les conseils d’un fou. L’entreprise dans laquelle tu t’es lancé ne te vaudra aucune gloire. Loin de jamais prendre cette forteresse, tu en lèveras le siège après avoir essuyé maints échecs. Et voilà tout l’honneur que tu retireras de ton obstination et de ton désir de vengeance. Quant à toi, Gauvain, qui fus autrefois la fine fleur de la chevalerie, quel piètre conseiller tu fais ! Au surplus, sache-le, toi qui es à l’origine de cette guerre, tu y trouveras ta perte. Jamais tu ne reverras l’île de Bretagne. Et sais-tu pourquoi, chevalier Gauvain, tu ne saurais t’en tirer sain et sauf ? Parce que tu es fou d’orgueil et que ton orgueil t’empêche de regarder autour de toi. Souviens-toi du jour où tu te trouvais dans le manoir du Roi Pêcheur. Tu vis certes la Lance qui saigne et la coupe d’émeraude mais, au lieu de poser la question qui aurait pu guérir le Roi Pêcheur, tu t’endormis. Et, le matin, quand tu te réveillas, tout était vide autour de toi, et tu t’enfuis honteusement. »
Ce discours avait mis Gauvain si mal à l’aise qu’il s’exclama : « Qui es-tu donc, femme, pour te permettre de telles paroles ? – Peu importe qui je suis, répondit-elle, il suffit que tu saches que le moment est venu pour toi de décider de ton destin. » Et, sans ajouter un mot, elle piqua des deux et s’éloigna au grand galop de sa monture, abandonnant le roi à sa perplexité et Gauvain à sa confusion. À ce train, elle eut tôt fait de dépasser les avant-postes de l’armée et de se présenter au pied de la forteresse où on la laissa pénétrer. Elle se dirigea d’emblée vers la grande salle où se tenaient Lancelot et les deux rois parmi de nombreux chevaliers, descendit de cheval, s’approcha d’eux et leur annonça qu’Arthur se trouvait à une demi-lieue de la cité et que l’on pouvait apercevoir au moins dix mille de ses hommes prêts à l’attaque.
Lancelot lui répondit que peu lui importait, car quelque forte que fût l’armée d’Arthur, il ne craignait nullement le roi. « Hélas ! repartit la femme, le monde a bien changé depuis l’époque où tu étais compagnon de la Table Ronde, Lancelot. Tu te démenais alors pour aider Arthur à vaincre ses ennemis. Mais le monde a eu beau changer, toi, je vois que tu es toujours le même, sûr de toi, prêt à affronter les périls, quels qu’ils soient, et plus convaincu que jamais d’en sortir vainqueur. Non, vraiment, Lancelot du Lac, fils du roi Ban de Bénoïc, tu n’as pas changé depuis ton enfance ! » Lancelot examina attentivement la femme qui lui tenait ce discours et, tout à coup, elle lui parut différente, beaucoup moins vieille : il voyait ses traits s’adoucir, ses rides disparaître. « Femme ! demanda-t-il, qui es-tu donc ? » Elle retira le voile qui masquait en partie sa chevelure. « Fils de roi, murmura-t-elle, l’ignores-tu, au fond de ton cœur ? – Saraïde ! s’exclama Lancelot, il y a si longtemps que je ne t’ai vue ! Me donneras-tu des nouvelles de la Dame du Lac ? – C’est elle qui m’envoie vers toi. Sache qu’elle déplore tout ce qui s’est passé entre Arthur et toi, mais qu’elle ne peut rien changer à ce qui est écrit dans le grand livre de Dieu. Suis ton destin, fils de roi, va jusqu’au bout. Voilà tout ce que je puis te dire. » Lancelot l’aurait volontiers questionnée davantage, mais elle sut si bien se faufiler parmi
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