La mort du Roi Arthur
une armée qui marcherait contre la parenté du roi Ban. Il l’assura qu’il se donnerait pour cela, dût-il en mourir, toutes les peines et qu’il abattrait les forteresses de Bénoïc et de Gaunes, n’y laissant que ruines et que mort. Telle fut la promesse qu’Arthur, roi de Bretagne, fit à son neveu Gauvain, fils du roi Loth d’Orcanie.
Après Pâques, au temps du renouveau, la froidure s’était quelque peu radoucie quand Arthur, tout en faisant affréter des navires en vue de traverser la mer jusqu’en Bretagne armorique, convoqua donc ses barons à Kaerlion-sur-Wysg. Et l’on était sur le point de se mettre en route quand Gauvain demanda au roi qui, en son absence, se chargerait de garder la reine. Arthur avait à peine commencé à réfléchir que Mordret s’avança et dit : « Mon oncle, si cela t’agrée, je peux rester pour la garder. Ainsi sera-t-elle, tu le sais, plus en sécurité que si personne d’autre y veillait. » Le roi donna volontiers son assentiment, sous réserve toutefois que Mordret prît aussi grand soin de la reine que s’il se fût agi de lui-même. « Seigneur ! s’écria celui-ci, je te jure de la traiter aussi bien que ma propre personne ! »
Arthur prit alors Guenièvre par la main et la confia à Mordret, recommandant à ce dernier de la garder aussi loyalement qu’un homme lige doit garder la femme de son seigneur. Mais la reine fut fort chagrinée et irritée de se voir sous pareille garde, car elle n’avait aucune confiance en Mordret, qu’elle savait sournois, cruel et déloyal. Mais elle n’osa protester. Là-dessus, le roi confia à son neveu les clés de ses trésors afin que, si lui-même avait besoin d’or et d’argent une fois qu’il se trouverait en Bretagne armorique, celui-ci pût lui en envoyer par de fidèles messagers. Il commanda également à tous les habitants d’obéir ponctuellement aux volontés de son neveu et leur fit jurer sur les reliques de ne transgresser aucun de ses ordres. À la grande douleur de la reine, ils prêtèrent tous le serment.
Cela fait, Arthur quitta la cité de Kaerlion-sur-Wysg et, escorté de braves chevaliers venus de tout le royaume, alla s’embarquer au port de Caerdydd {67} . La reine avait tenu à faire route avec lui jusque-là. Au moment de la séparation, elle manifesta une grande tristesse et dit à son époux : « Seigneur, puisse Notre Seigneur vous conduire là où vous devez aller et vous en ramener sains et saufs. Mais je n’augure rien de bon de cette expédition. La guerre que tu entreprends est injuste, car Lancelot n’a jamais commis de crime envers toi. Quant à Gauvain, il est si irrité contre lui qu’il ne sait même plus ce qu’il fait. Et mon cœur me dit, roi Arthur, que nous ne nous reverrons jamais plus. » Alors, elle se mit à pleurer abondamment. Arthur lui répondit qu’elle ne devait avoir aucune crainte et qu’il reviendrait bientôt. Puis il monta sur son navire. On tendit les voiles et, en peu de temps, la brise éloigna toute la flotte du rivage, abandonnant Guenièvre qui, sur le port, pleurait toujours et se lamentait parce qu’elle savait que le destin ne lui permettrait de revoir ni Arthur ni ses preux chevaliers.
Lorsqu’on eut touché le rivage de la Bretagne armorique, Arthur donna l’ordre de débarquer tous les équipements et de dresser les pavillons sur les falaises, car il souhaitait prendre du repos. On exécuta soigneusement ses ordres et, cette nuit-là, il coucha sous la tente, au voisinage de la mer. Le matin, lorsqu’il se mit en route, il dénombra ses gens et en trouva près de quarante mille. Puis ils chevauchèrent tant et tant, à travers les vallées et les bois, qu’ils arrivèrent bientôt dans le royaume de Bénoïc. Mais une fois parvenus là, ils trouvèrent tout sauf des forteresses à l’abandon ou démunies, car il n’en était aucune que Lancelot, Bohort ou Lionel n’eussent fait relever ou remettre à neuf.
Le roi ayant consulté ses compagnons sur la direction qu’il convenait de prendre, Gauvain répondit : « Mon oncle, il nous faut aller tout droit sur Bénoïc, car c’est là que résident les rois Bohort et Lionel, ainsi que Lancelot et Hector, avec le meilleur de leurs troupes. Si nous avions la chance de les surprendre, cette guerre serait tôt achevée. – Par Dieu ! rétorqua Yvain, fils du roi Uryen, nous ferions vraiment une folie que de nous y rendre directement : là sont concentrés les hommes
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