La mort du Roi Arthur
les chevaliers, remonter à cheval et s’éloigner si vite que nul n’eût pu dire ce qu’elle était devenue. Lancelot, très ému, demeura songeur. Qu’avait donc voulu lui annoncer la messagère de la Dame du Lac ? Persuadé, dans son cœur, qu’il irait jusqu’au bout de son destin, il se tourna alors vers les autres et leur dit : « Seigneurs, il ne faut pas attendre que nos assaillants soient plus solidement retranchés. Nous les attaquerons donc demain matin, dès la première heure. » Tous approuvèrent cette décision, et ils allèrent se préparer.
Cette nuit-là, l’armée d’Arthur ne s’inquiéta guère, tant était profond le silence qui régnait dans la forteresse de Bénoïc. Cependant, dès le point du jour, les gens de Lancelot se levèrent et coururent à leurs armes, impatients qu’ils étaient d’attaquer. Une fois équipés, ils se rassemblèrent dans la grande cour où Lancelot les répartit en plusieurs bataillons qu’il dota chacun d’un bon chef. De leur côté, ceux d’Arthur en faisaient autant, qui constituèrent vingt corps de troupes. À la tête du premier s’étaient placés Gauvain et Yvain, fils du roi Uryen, parce qu’ils avaient appris que, dans l’autre camp, Lancelot et Bohort mèneraient le premier bataillon. Aussi la rencontre produisit-elle l’affrontement de Gauvain contre Lancelot et d’Yvain contre Bohort qui, tous quatre, se renversèrent mutuellement à bas de leurs montures.
Les autres combattants s’élancèrent alors les uns contre les autres et, dans la mêlée, Lancelot, qui était remonté à cheval et avait mis la main à l’épée, distribuait de grands coups tout autour de lui. Les gens du roi avaient également remis Gauvain en selle, et celui-ci avait repris la lutte avec une fureur accrue. Rentré lui aussi dans la bataille, Lionel faisait quant à lui des ravages dans les rangs des hommes d’Arthur. En vérité, ceux-ci auraient dû se replier, tant les gens de Lancelot les serraient de près. Mais, par sa vaillance, Arthur leur rendit courage, car il assaillit lui-même Lionel et le blessa à la tête. En voyant son cousin atteint, Lancelot préféra donner le signal de la retraite, et tous les siens regagnèrent en hâte la forteresse de Bénoïc.
On s’affronta de même quatre fois en une semaine, au prix de pertes nombreuses de part et d’autre. Toutefois, les assiégeants en souffrirent plus que les assiégés car, prêts à faire face à toute éventualité, Lancelot, Bohort et Hector étaient en mesure de causer bien des dommages chaque jour à leurs adversaires. Quant à Lionel, tout en se remettant de sa blessure, il brûlait de reprendre le combat. Et les gens de Bénoïc, qui avaient toute confiance en leurs chefs, se sentaient pleins d’espoir tandis que les hommes d’Arthur se demandaient, non sans angoisse, s’ils étaient assez nombreux contre la redoutable troupe de Lancelot.
Or, pendant que se disputaient ces combats, d’étranges événements survenaient dans l’île de Bretagne. Lorsque le roi Arthur se fut embarqué pour la Bretagne armorique, après avoir donné la reine et le royaume en garde à Mordret, ce dernier, seul et unique maître des biens de son oncle, avait convoqué les hauts barons et s’était mis à tenir de grandes cours durant lesquelles il se montrait fort prodigue en riches présents, de manière à conquérir les cœurs des gens restés sur la terre du roi. Et il fit tant et si bien que ses commandements étaient aussi ponctuellement exécutés que si le roi en personne les eût donnés.
Or, à demeurer tout le jour avec la reine Guenièvre, à force de vivre en sa compagnie, Mordret en vint à l’aimer de si grand amour que, faute d’en obtenir les faveurs, de gré ou de force, il pensait en mourir. Mais comme il n’osait se déclarer à elle, il imagina une ruse qui lui permît de satisfaire sa passion {68} . Il fit écrire une fausse lettre, scellée d’un sceau contrefait, semblable à celui d’Arthur, et la fit remettre à la reine, en présence de tous les barons, par un évêque d’Irlande {69} .
Or, les termes de cette lettre étaient les suivants : « Moi, Arthur, fils d’Uther Pendragon, roi de Bretagne, je vous envoie mon salut. Sachez que j’ai été blessé à mort de la main de Lancelot du Lac. Mais il me prend pitié de vous tous, mes fidèles barons, pour la grande loyauté que j’ai trouvée en vous. Au nom de la paix, je vous prie que vous fassiez
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