La mort du Roi Arthur
Guenièvre et la résistance que lui opposait celle-ci dans la tour de Kamaalot, où elle espérait tenir encore quelque temps.
À entendre pareilles nouvelles, Arthur fut si désemparé qu’il changea de couleur et ne put prononcer une seule parole. Il demeura prostré un long moment près du lit où gisait Gauvain, puis il se mit à verser d’abondantes larmes avant de s’écrier : « Suis-je donc maudit ? Pourquoi le destin s’acharne-t-il contre ma personne et contre le royaume dont Dieu m’a confié la charge ? J’ai perdu nombre de mes chevaliers lorsqu’ils ont entrepris la quête du Graal. J’ai perdu Lancelot du Lac et toute sa parenté, grâce auxquels le royaume conservait tout son honneur et toute sa puissance. J’ai perdu mes neveux qui constituaient ma joie et mon soutien. J’ai peur de perdre Gauvain que j’avais fait mon héritier pour l’île de Bretagne. Et, aujourd’hui, je reçois cette funeste nouvelle qui, assurément, devrait mettre le comble à mon désarroi et à ma souffrance. Ah ! Mordret ! Je sais maintenant qui tu es ! Ta félonie me le prouve, tu es le dragon que je vis un jour en rêve livrer contre moi une sanglante bataille dont je ne sortais pas vivant. Pourquoi ai-je alors écouté Merlin ? Pourquoi, sur son conseil, ai-je épargné le fils que j’avais engendré, sans le savoir, de ma sœur Anna, puisqu’alors j’étais loin de connaître mes origines et me croyais naïvement le fils du sage Antor. Hélas ! je voulais tuer cet enfant destiné à me détruire et à détruire le royaume. Je l’ai fait rechercher partout afin de le mettre à mort, bien que Merlin m’en eût dissuadé. Et je ne l’ai jamais découvert. Maintenant, la vérité éclate, et je la vois se dresser devant moi, cruelle, insolente. Mais, je le jure, jamais père ne fit à son fils ce que je ferai à Mordret. Oui, Mordret, je te tuerai de mes propres mains, sans pitié ni remords, et je veux que tout le monde le sache en expiation de la faute que j’ai commise ! » Ainsi se lamentait le roi Arthur, entremêlant ses pleurs des pires imprécations contre Mordret. Beaucoup de seigneurs, qui entendirent le discours du roi, en furent très surpris, car ils ignoraient que Mordret fût le fils d’Arthur. Et si leur stupeur fut profonde, aucun d’eux n’osa dire quoi que ce fût, tant la prodigieuse douleur du roi leur inspirait de respect profond {73} .
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La Mortelle Bataille
Lorsqu’il se fut quelque peu remis de son émotion, le roi Arthur commanda à ceux qui l’entouraient de faire lever le camp et de se préparer à partir le plus tôt possible vers la mer afin de regagner l’île de Bretagne. Aussitôt l’ordre reçu, on démonta les tentes et les pavillons, et l’on prépara les chevaux. Le roi ordonna aussi de fabriquer une litière pour transporter Gauvain, qu’il ne voulait pas laisser derrière lui. Si son neveu devait mourir, Arthur voulait l’assister dans ses derniers moments. S’il devait survivre, il en voulait savourer la joie.
C’est ainsi que l’armée, quittant les abords de Bénoïc, se mit en route en direction de la côte. Cependant, Gauvain, qui avait repris connaissance, interpella ceux qui l’accompagnaient : « Seigneurs, dit-il, où suis-je donc ? – Seigneur, dit l’un des chevaliers, nous approchons de la mer. – Et où allons-nous ? – Nous rembarquer pour regagner l’île de Bretagne. » Gauvain soupira longuement puis reprit : « Béni soit Dieu, puisque je pourrai mourir en ma terre que j’ai tant désiré revoir. – Seigneur Gauvain, pourquoi penses-tu mourir ? – Je sais bien qu’il ne me reste pas longtemps à vivre. Mais ce qui me chagrine le plus n’est pas de mourir, c’est de ne pouvoir, auparavant, revoir Lancelot. Car si je voyais encore une fois celui que je tiens pour le meilleur chevalier du monde, le plus courtois et le plus généreux, et pouvais lui demander pardon de m’être si mal conduit envers lui, je pense que mon âme s’en trouverait plus à son aise quand elle aura quitté mon corps. »
Le roi survint à ce moment, qui entendit les dernières paroles de Gauvain. « Beau neveu, dit-il, ta folie m’a causé un bien grand dommage, car elle t’enlève à moi, toi que j’aimais plus que tous, ainsi que Lancelot après toi, Lancelot que l’on redoutait tant. Hélas ! si Mordret avait su qu’il demeurait en si bons termes avec moi, comme dans le passé, il n’aurait jamais eu la
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