La mort du Roi Arthur
hardiesse de se lancer dans la félonie qu’il a entreprise. Me voici maintenant privé de bons et loyaux chevaliers, comme toi et ceux qui, sans hésiter, accouraient me seconder dans la nécessité. Sache que le traître Mordret a répandu le bruit que j’étais mort et s’est fait couronner à ma place. Je ne peux laisser impuni pareil outrage. Ah ! Dieu tout-puissant ! si j’avais avec moi aujourd’hui tous ceux que j’avais jadis, le monde entier ne me ferait pas peur, quand bien même il se liguerait contre moi ! »
Ainsi parla le roi Arthur, et Gauvain en conçut une vive affliction. « Mon oncle, dit-il en faisant un effort pour parler, si ma folie t’a fait perdre Lancelot, regagne-le par ta sagesse. Tu pourrais facilement l’attirer à toi si tu le voulais, car c’est le meilleur homme du monde et le mieux disposé envers toi. Il suffirait, je suis sûr, que tu l’en pries, et il reviendrait te servir fidèlement. Or, il me semble que tu as bien besoin de lui en ce moment. Je ne peux plus rien pour toi, mon oncle, mais lui peut encore tout sauver, toi-même et le royaume. – Sans doute as-tu raison, répondit Arthur, mais j’ai eu tant de torts envers lui qu’à mon avis toute prière serait inutile. Ainsi ne lui demanderai-je rien. »
Les marins vinrent alors trouver le roi et lui dirent : « Seigneur, nous mettrons à la voile quand il te plaira. Nous avons préparé tout ce dont nous avons besoin, un bon vent s’est levé, qui nous emmènera rapidement vers l’île de Bretagne, ce serait folie que de tarder davantage. – Très bien, répondit le roi, je vais donner l’ordre d’embarquer. »
Il fit transporter Gauvain dans le navire, et les gens chargés de lui le couchèrent le plus commodément qui se put. À leur tour montèrent à bord les barons, avec leurs armes et leurs chevaux. Ceux qui n’y trouvèrent pas de place le firent sur d’autres navires, leurs gens avec eux, et, bientôt, on leva les ancres. Ainsi quittait la Bretagne armorique le roi Arthur, profondément peiné de la trahison de Mordret, mais davantage encore affecté par l’état de son neveu Gauvain, qu’il voyait empirer d’heure en heure et se rapprocher de sa fin. Cette douleur-là le bouleversait, et elle ne lui laissa aucun répit, ni de jour ni de nuit, de sorte qu’il perdit tout désir de boire ou de manger aussi longtemps que dura la navigation.
Or, tandis qu’il était en proie à ces mortelles angoisses, Mordret, lui, poursuivait toujours le siège de la tour de Kamaalot où s’était réfugiée la reine Guenièvre. À plusieurs reprises, il avait tenté de la prendre d’assaut, mais les assiégés s’étaient défendus avec tant de vaillance que les gens de Mordret avaient essuyé des pertes sévères. Et, dans son inquiétude, celui-ci ne cessait de requérir l’aide des barons d’Irlande, d’Écosse et des pays étrangers qui tenaient leurs terres de lui. Et, pour peu qu’ils répondissent à ses appels, il leur faisait distribuer de si beaux dons qu’ils en étaient émerveillés.
Pareille habileté les conquit si bien qu’ils se donnèrent totalement à lui. Ils répétaient partout qu’ils étaient prêts à l’aider contre tous ses ennemis, y compris contre le roi Arthur, si par hasard celui-ci n’était pas mort comme on l’avait dit. Ainsi Mordret attira-t-il dans son camp les plus puissants des barons qui avaient obtenu jadis leurs terres du roi Arthur. La chose lui était facile, dans la mesure où Arthur l’avait institué le gardien de tous ses trésors, quels et où qu’ils fussent, avant de partir. D’ailleurs, il se sentait destiné à accomplir de grandes choses, pour sa plus grande gloire et son plus grand profit.
Or, il advint, un jour où il avait fait donner l’assaut contre la tour, que l’un de ses espions vint le trouver, l’entraîna à l’écart et lui dit en particulier : « Seigneur, je viens t’apporter d’étonnantes nouvelles ! Le roi Arthur est de retour en ce pays avec toutes ses forces, et il se prépare à marcher contre toi à la tête de nombreuses troupes. Si tu veux l’attendre ici, tu devrais l’apercevoir d’ici trois ou quatre jours. Tu ne pourras éviter de le combattre, car il dit à qui veut l’entendre qu’il est revenu pour te tuer de ses propres mains. Prends donc garde aux décisions que tu vas prendre, et souviens-toi que, faute de réactions immédiates, je ne donne pas cher de ta tête. »
La
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