La mort du Roi Arthur
prêt à le faire, et non parce que j’ai peur de toi, mais parce que ce serait, je pense, un grand malheur que l’un de nous deux tuât l’autre. »
Le roi fut bouleversé en entendant les paroles de Lancelot et, les larmes aux yeux, il se pencha vers Gauvain. « Beau neveu, lui dit-il, pour l’amour de Dieu, accepte ! Lancelot t’offre là toutes les formes de satisfaction qu’un chevalier peut offrir pour la mort d’un parent. Jamais je n’entendis discours plus généreux ni plus sincère. » Mais, au lieu de s’incliner, Gauvain tendit son gant à Arthur. « Voici mon gage, dit-il simplement. Je suis prêt à prouver que Lancelot a tué mon frère par traîtrise. Que le combat soit fixé au jour qu’il choisira. »
Lancelot s’avança à son tour, et tendant son gant : « Puisqu’il en est ainsi, dit-il, et que je ne saurais me dérober, voici le gage de ma défense. Que la bataille ait lieu demain matin, si cela convient à Gauvain. » Le roi ne pouvait faire qu’accepter les gages. Le cœur brisé, il les prit, salua Lancelot et ses compagnons et reprit la direction du camp. Mais au moment de la séparation, Hector dit à Gauvain : « Tu viens de refuser la plus belle offre et la plus généreuse réparation qu’ait jamais faites un haut baron. En ce qui me concerne, je voudrais que ton refus te portât malheur, et je pense qu’il en sera ainsi. » Lancelot le somma alors de se taire, car il en avait assez dit, et tous deux rentrèrent avec Bohort dans la forteresse.
Lorsque Yvain, fils du roi Uryen, eut appris ce qui s’était passé, il alla trouver Gauvain et le blâma vivement : « Seigneur ! s’écria-t-il, pourquoi avoir agi ainsi ? As-tu donc une telle haine de la vie pour avoir décidé de te battre contre le meilleur chevalier du monde, à qui personne n’a pu résister sans connaître la défaite et le déshonneur ? Pourquoi as-tu entrepris ce combat alors que tu es en tort, car jamais Lancelot n’a voulu tuer Gahériet par trahison ou déloyauté ? – C’est toi qui le dis ! riposta Gauvain. Moi, je t’affirme que le droit se trouve de mon côté, et le tort du sien. Et voilà pourquoi je suis prêt à le combattre en toute quiétude, et ce fût-il deux fois meilleur qu’il n’est. – C’est de la folie ! repartit Yvain. La haine t’aveugle, Gauvain, la haine seule te rend déraisonnable ! Plaise à Dieu que ton entêtement n’entraîne pas les pires malheurs pour nous. Jamais je n’ai tant redouté une catastrophe, car le droit est du côté de Lancelot, et le tort assurément du nôtre. » Ainsi parla Yvain, fils du roi Uryen, puis, sans plus s’attarder, le visage sombre, il se retira sous sa tente.
Le lendemain, à la première heure, Lancelot, le cœur étreint d’une grande angoisse, se leva et s’habilla. En voyant que les hauts barons l’attendaient, il demanda immédiatement ses armes. On les lui apporta ; il s’équipa avec beaucoup de soin, puis il descendit dans la cour et y enfourcha un destrier fort, agile et tout bardé de fer jusqu’aux sabots. Après quoi, les autres montèrent en selle pour lui faire escorte. Il sortit de la cité à la tête d’une foule d’hommes dont aucun n’eût hésité à donner sa vie pour lui si ce sacrifice eût été nécessaire. Ils se rendirent ainsi en un pré situé à l’extérieur des murs et où devait avoir lieu le combat. En dehors de Lancelot, personne ne portait d’armes ni n’entra dans le pré. Ses gens s’arrêtèrent en deçà, du côté de la forteresse.
En les voyant sortir des murs de Bénoïc, les gens d’Arthur avaient amené son destrier à Gauvain, que le roi conduisit, richement équipé, jusqu’au pré où il le fit entrer. Arthur pleurait à chaudes larmes, comme s’il voyait le monde entier mort devant lui. Quant à Bohort, il prit Lancelot par la main droite en lui disant : « Entre, seigneur, et que Dieu te donne l’honneur de cette bataille. » Lancelot se signa et se recommanda à Dieu.
Le jour était beau et clair, et le soleil se levait, dispersant ses brillants rayons sur les armes. Pleins d’assurance, les deux chevaliers s’élancèrent l’un sur l’autre et, ayant abaissé leurs lances, se heurtèrent si rudement, bouclier contre bouclier, qu’ils vidèrent tous deux les arçons, étourdis au point qu’ils eurent du mal à récupérer leurs esprits. On les eût dit morts. Délestés du poids de leurs maîtres, les chevaux s’enfuirent
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