La mort du Roi Arthur
Kamaalot, tandis que les écuyers se déclaraient désireux de rejoindre les troupes du roi Arthur et de combattre à ses côtés pour le plus grand bien du royaume. Et c’est ainsi que la reine Guenièvre trouva refuge dans cet ermitage, en plein cœur de la forêt.
Entre-temps, le roi Arthur, qui avait, avec tous ses gens, repris pied dans l’île et débarqué armes et chevaux, fit publier son retour et aviser les habitants qu’il escomptait leur concours dans sa lutte contre l’usurpateur qui avait osé ceindre la couronne au mépris de toute justice. Les gens de l’île manifestèrent une joie d’autant plus vive qu’ils avaient d’abord davantage cru le roi mort. « Sachez, leur dit Arthur, que ce mensonge est l’œuvre de Mordret, le félon ! que je tuerai, si je puis, de ma propre main, pour s’être parjuré tant devant Dieu qu’envers son seigneur légitime. » En entendant ces paroles, tous assurèrent le roi qu’ils l’aideraient à chasser le traître sans le laisser en paix un seul instant.
Ce jour-là, la nuit commençait à tomber quand Gauvain dit à ceux qui l’entouraient : « Priez mon oncle de venir me parler. » Un chevalier alla chercher le roi qui se précipita vers la chambre où gisait le mourant et l’y trouva si épuisé que personne ne pouvait tirer de lui un seul mot. Arthur se mit alors à pleurer amèrement. Mais, en l’entendant gémir, Gauvain le reconnut, ouvrit les yeux et, non sans peine, murmura : « Seigneur, je me meurs. Par Dieu, mon oncle, si tu peux éviter de te battre contre Mordret, suis mon conseil. Je te l’affirme en effet, si tu dois mourir de main d’homme, cet homme-là ne peut être que lui. Et il a beau être mon frère, je le sais, je me méfie de lui parce qu’il est sournois et ambitieux. Mon oncle, salue pour moi la reine Guenièvre, la plus grande dame de ce temps, et lorsque quelqu’un des tiens rencontrera Lancelot, qu’il lui dise que je le salue par-dessus tous ceux que j’ai connus en ce monde, que je lui crie merci et que je prie Dieu de le garder en l’état où je l’ai laissé. Qu’il ne manque ni de visiter ma tombe dès qu’il apprendra ma mort ni d’avoir pitié de moi. » Il s’arrêta de parler un long moment, comme pour reprendre son souffle, puis reprit : « Mon oncle, je te demande de me faire enterrer à Kamaalot avec mes frères. Je veux être déposé dans la tombe même où fut placé le corps de Gahériet, car il était mon frère préféré. En guise d’épitaphe, fais graver, je te prie, ceci : "Ci-gisent Gahériet et Gauvain, fils du roi Loth d’Orcanie, que, par la faute de la démesure et de l’orgueil de Gauvain, tua Lancelot. " Oui, mon oncle, je veux que, sur la dalle, cette inscription rappelle à chacun mes faiblesses. »
Quand il eut prononcé ces paroles, personne ne l’entendit plus ajouter un seul mot. Si ce n’est, au bout d’un long moment, qu’il murmura : « Jésus-Christ, mon sauveur, ne me juge pas selon mes fautes. » Alors, il trépassa de ce monde, les mains croisées sur la poitrine.
Le roi versa des larmes et, hurlant sa douleur et sa détresse, il se pâma à plusieurs reprises sur le corps de Gauvain. « Hélas ! dit-il en reprenant conscience, ô toi, Fortune, tyran capricieux et changeant, le plus trompeur qui soit au monde ! Pourquoi m’avoir manifesté tant de bonté pour finalement me le faire payer aussi cher ? Tu me fus jadis une mère et, maintenant, te voici marâtre ! Pour me faire mourir de douleur, tu as fait appel à la mort et tu m’as privé de ceux que je chérissais le plus. Ah ! maudite Mort ! Pourquoi devais-tu t’en prendre à un homme tel Gauvain qui surpassait tout autre en bravoure ? »
Toute la soirée retentit dans le château un tel concert de gémissements que l’on n’eût même pas entendu Dieu tonner. Tous et toutes pleuraient ensemble comme s’il se fût agi d’un cousin à eux. Il est vrai que Gauvain avait été singulièrement cher aux habitants de ce pays. Ils rendirent à son corps tous les honneurs possibles et le placèrent dans un drap de soie brodé d’or et de pierres précieuses. La nuit, on alluma toutes les torches, et cela produisait une telle clarté que le château semblait en flammes. Le lendemain, dès le point du jour, le roi Arthur appela un groupe de chevaliers auxquels, du fond de son désarroi, il commanda de revêtir leurs armes, tandis que l’on attelait une civière où l’on
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