La mort du Roi Arthur
d’un tel courage qu’il leur semblait n’avoir jusqu’alors quasiment rien fait. « Gauvain ! cria Lancelot, ne serait-il pas temps de me reconnaître innocent du crime dont tu m’accuses ? Je te laisserai aller. Aie pitié de toi-même ! – Il n’en est pas question ! » hurla sauvagement Gauvain en se précipitant une fois de plus sur Lancelot. Et ils continuèrent à se harceler jusqu’à la tombée de la nuit.
À ce moment-là, Gauvain tomba de tout son long sur l’herbe du pré rougie de son sang. Lancelot vit la victoire à portée de sa main. Il lui suffisait de se ruer sur Gauvain et de lui trancher le cou. Mais, loin d’en rien faire, il s’écria : « Gauvain ! rends-toi et reconnais que tu m’accusais à tort de déloyauté ! » Mais Gauvain, à demi inconscient, ne répondit rien. Alors Lancelot se dirigea du côté où se trouvait le roi. « Roi Arthur, dit-il, si je ne craignais que tu n’interprètes ce geste comme une lâcheté, je quitterais tout de suite le champ et te laisserais ton neveu. – Va, répondit Arthur, je te proclame vainqueur, Lancelot, bien que Gauvain n’ait pas reconnu sa défaite. La nuit est tombée maintenant, l’heure est passée, que la coutume assigne pour fin des combats. Je te tiens quitte de l’accusation portée par Gauvain contre toi. Que Dieu te garde ! Dès demain, je ferai lever le camp et je repartirai dans mon pays sans te causer le moindre ennui. – Puisque tu m’en donnes congé, roi Arthur, dit Lancelot, je me retire et fais à ton neveu grâce de la vie. Je peux t’avouer maintenant que je n’avais jamais eu l’intention de le tuer. Adieu, roi Arthur. Je regrette grandement ce combat que je n’ai pas voulu. » Et, se tenant vaille que vaille sur ses jambes, Lancelot abandonna le pré. Bohort se saisit de lui, le fit monter sur son cheval et le ramena derrière les murailles de Bénoïc.
Une fois arrivé dans la grande cour, Lancelot fut désarmé, et les médecins qui s’empressaient autour de lui s’aperçurent qu’il avait de graves blessures par tout le corps, et perdu tant de sang que tout autre y eût succombé. Quand Hector vit à son tour les plaies, il en fut si abasourdi qu’il douta qu’on pût sauver son frère. « Si fait, le rassurèrent les médecins. Mais il lui faudra de longues semaines pour se rétablir et de longues autres avant de pouvoir remonter à cheval. » Alors, Bohort, moins inquiet lui-même, ordonna à ses gens de faire tout ce qui était en leur pouvoir et de faire en sorte que Lancelot fût veillé jour et nuit dans une chambre à l’abri du bruit, afin qu’il pût se reposer et recouvrer sa pleine santé.
Quant aux gens du roi, ils s’étaient approchés de Gauvain et, le voyant incapable de se redresser, ils le placèrent sur un bouclier et le menèrent tout droit vers Arthur avant de le désarmer. Il était du reste si mal en point qu’il s’évanouit entre leurs bras. On fit venir des médecins qui, après avoir examiné les plaies, se déclarèrent en mesure de l’en guérir. En revanche, ils ne pouvaient se prononcer quant à la profonde blessure qu’il avait à la tête. Le roi se mit à pleurer et à se lamenter. « Ah ! beau neveu ! ta démesure et ton obstination t’ont perdu, et c’est un grand malheur pour nous tous, car jamais ne sortira de ton lignage un aussi bon chevalier que tu l’as été ! » Gauvain n’eut même pas la force de répondre. Tous ceux qui étaient là avaient les larmes aux yeux, car ils aimaient et estimaient le neveu d’Arthur plus qu’aucun autre chevalier du royaume. Et ils restèrent auprès de lui toute la nuit à le veiller, redoutant sans cesse qu’il ne mourût entre leurs mains.
Or, c’est le lendemain qu’au petit matin parvint au camp d’Arthur le chevalier Labor. Sans tarder, le messager de Guenièvre se présenta devant le roi et lui dit : « Seigneur Arthur, la reine, ton épouse, me charge de t’avertir que sa situation est désespérée et que le déshonneur l’attend si tu n’entreprends quelque chose en sa faveur. – Que se passe-t-il donc ? » demanda Arthur, le cœur étreint d’une nouvelle angoisse. Alors le messager lui conta, sans omettre un seul détail, comment Mordret avait trahi son roi et, le faisant passer pour mort, s’était fait couronner puis arrangé pour obtenir l’hommage des barons du royaume. Enfin, il termina en exposant le projet qu’avait Mordret d’épouser la reine
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