La mort du Roi Arthur
fût assise à table avant que tous n’eussent été servis. Aussi la jeune fille s’acquitta-t-elle de fort bon cœur de son devoir et ce jusqu’à ce que Gauvain et ses compagnons fussent rassasiés. Du reste, elle était si belle et bien faite que Gauvain ne pouvait s’empêcher de la regarder, se disant en lui-même qu’il serait bien chanceux, le chevalier qui pourrait prendre son plaisir avec elle.
Après le souper, le vavasseur alla se détendre en un pré situé derrière son manoir, et il emmena sa fille avec lui. Ils y trouvèrent Gauvain et ses compagnons qui se délassaient eux-mêmes et qui, les voyant, se levèrent courtoisement pour les saluer. Gauvain les fit asseoir, lui à sa droite, elle à sa gauche, et l’on se mit alors à deviser d’un certain nombre de sujets. Puis Gahériet, prenant l’hôte à part, fit quelques pas avec lui et l’interrogea sur les coutumes de la forteresse. Le vavasseur les lui indiqua avec force détails, laissant ainsi Gauvain en conversation particulière avec la jeune fille.
La première chose que ce dernier fit fut de la requérir d’amour. Elle lui demanda qui il était. « Un chevalier, répondit-il. Je me nomme Gauvain, je suis fils du roi Loth d’Orcanie et le neveu du roi Arthur. Si cela ne te déplaisait pas, jeune fille, je t’aimerais d’amour, et, aussi longtemps que durerait notre amour, je n’aimerais d’autre dame que toi et serais en tout point ton chevalier, à la merci de tes moindres désirs. – Ah ! Gauvain, dit la demoiselle, ne te moque pas ainsi de moi. Je sais pertinemment que tu es trop riche et d’un rang trop élevé pour aimer une pauvre fille de vavasseur comme moi. Devrais-tu, du reste, m’aimer maintenant d’amour, sache que j’en serais désolée pour toi. – Pourquoi désolée ? – Parce que, seigneur, même si tu m’aimais à en perdre la vie, nous ne pourrions nous entendre, toi et moi. J’aime en effet un chevalier à qui, pour rien au monde, je ne voudrais être infidèle. Je te l’affirme, en vérité, je suis encore vierge et je n’avais jamais aimé avant de le rencontrer. Mais, dès que je l’ai vu, je l’ai aimé et lui ai demandé de se battre au tournoi de Caerwynt pour l’amour de moi. Il me l’a promis. Et il s’est si bien conduit que j’en suis fière. Aussi serais-je déshonorée si je l’abandonnais pour toi. Je ne dis pas cela pour te déplaire, mais sache que tu perdrais ta peine à me requérir d’amour : je n’écouterai jamais personne d’autre que lui, car je l’aime, et je l’aimerai toute ma vie. »
En l’entendant se refuser si fièrement, Gauvain fut quelque peu humilié, et il lui répondit, plein de tristesse : « Demoiselle, par courtoisie, permets que je puisse prouver contre lui que je lui suis supérieur aux armes. Si je peux le battre, laisse-le et prends-moi. – Certainement pas ! s’écria la jeune fille. Comment peux-tu penser que j’agirais de la sorte ? Pourrais-je ainsi risquer la vie de deux des meilleurs hommes qui soient au monde ? – Est-il donc, demanda Gauvain, l’un des meilleurs chevaliers de ce temps ? – Seigneur, dit la jeune fille, c’est toi-même qui l’as affirmé voilà peu. – Mais comment s’appelle donc ton ami ? – Seigneur, je ne te dirai pas son nom mais je te montrerai son bouclier. Il l’a laissé ici lorsqu’il s’est rendu au tournoi de Caerwynt. – Je voudrais bien voir ce bouclier, car si ce chevalier possède la valeur que tu dis, peut-être le reconnaîtrai-je à son bouclier. – Tu le verras, dit-elle, quand tu iras te coucher, car il est suspendu au mur de la chambre qu’on t’a préparée. »
Il se leva aussitôt, et tous les autres l’imitèrent, croyant qu’il voulait se retirer. Il prit la jeune fille par la main et tous deux rentrèrent, l’un derrière l’autre, dans le logis. Alors, elle le mena dans la chambre, où brûlaient d’un si vif éclat cierges et torches que la pièce semblait en feu, lui montra le bouclier suspendu au mur et dit : « Seigneur Gauvain, voici le bouclier de l’homme que j’aime le plus au monde. Examine-le donc et, si tu le peux, nomme-moi son propriétaire, car il n’a pas voulu me dire son nom. Peut-être aussi conviendras-tu alors qu’il est le meilleur chevalier qui soit au monde. » Au premier coup d’œil, Gauvain reconnut le bouclier de Lancelot du Lac. Abasourdi, il recula, confus des paroles qu’il avait dites à la jeune fille, et
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