La mort du Roi Arthur
lorsqu’il se fut un peu remis de son émotion, il s’exprima en ces termes : « Demoiselle, par Dieu tout-puissant, ne sois pas affligée des discours que je t’ai tenus ! Je me tiens pour vaincu en cette affaire et me range à ton avis. Sache en effet que celui que tu aimes est le meilleur chevalier qui soit au monde. Si j’avais pu penser qu’il s’agissait de lui, je ne me serais certes pas permis de te requérir d’amour, sois-en sûre. Pourtant, tu es la jeune fille dont j’aurais le plus souhaité être aimé. Je vais te dire qui est le chevalier que tu aimes : c’est Lancelot du Lac, fils du roi Ban de Bénoïc, et s’il t’aime autant que, je le crois, tu l’aimes, jamais dame ou demoiselle n’eut pareil bonheur. Par Dieu tout-puissant, je te prie donc, si je t’ai dit quelque parole qui te déplaise, de me pardonner. – Seigneur, répondit la Demoiselle d’Escalot, je te pardonne bien volontiers. »
Quand Gauvain, qui craignait en effet que la jeune fille n’allât rapporter à Lancelot quelles avances lui-même s’était permises, comprit qu’elle se tairait, il lui demanda quelles armes portait son ami au tournoi de Caerwynt. « Seigneur, répondit-elle, il portait un bouclier vermeil et un caparaçon de même couleur, et, sur son heaume, il arborait une manche de soie que je lui avais donnée par amour. – Sur ma tête ! s’écria Gauvain, voici qui lève toute équivoque ! Lancelot était donc le vainqueur du tournoi ! Aussi puis-je te répéter que tu dois te flatter à juste titre d’être l’amie d’un tel homme. Je suis heureux que tu le saches, car lui-même est toujours si secret à l’égard de tous que nul à la cour n’eût deviné qu’il fût engagé dans un grand amour. – Que Dieu me préserve ! répondit la jeune fille, cela vaut mieux, car tu n’ignores pas qu’un amour découvert ne mérite plus nulle estime ! » {24}
Le lendemain matin, Arthur et ses compagnons reprirent leur route en direction de Kamaalot où ils arrivèrent à la fin de l’après-midi. À peine descendus de cheval, ils furent assaillis de questions sur le tournoi et l’identité du vainqueur. Mais, hormis le roi, Gauvain et Girflet, nul ne savait la vérité. Quant à la reine Guenièvre, dans son désir d’apprendre comment Lancelot s’était comporté à Caerwynt sous le voile de l’anonymat, elle ne fut pas la dernière à s’informer. « Dame, répondit Gauvain, faute de le connaître personnellement, nous supposons ledit vainqueur venu de l’étranger. Nous n’en saurions rien dire d’autre, sauf qu’il portait des armes vermeilles, et que son heaume arborait, en guise de panonceau, une manche de dame ou de demoiselle. »
À ces mots, la reine exclut qu’il pût s’agir de Lancelot, car celui-ci n’eût assurément pas porté dans un tournoi d’enseigne qu’elle-même ne lui eût donnée. Loin d’insister, elle se contenta donc de demander : « Et Lancelot ? Ne participait-il pas au tournoi ? » Gauvain répondit prudemment : « S’il y était, je ne l’ai pas reconnu. D’ailleurs, s’il y avait été, je pense qu’il aurait remporté la victoire. Au surplus, nous avons si souvent vu ses armes briller au combat qu’elles nous auraient permis, le cas échéant, de le reconnaître aisément, à moins qu’il n’ait préféré l’incognito. – Tel est justement le cas ! s’écria Guenièvre, je te l’affirme : Lancelot s’est rendu à Caerwynt le plus secrètement qu’il a pu. – Eh bien ! dit Gauvain, fort embarrassé, s’il s’y trouvait, force nous est alors d’admettre que Lancelot et le chevalier aux armes vermeilles qui a remporté la victoire ne faisaient qu’un. – Certainement pas, grommela la reine avec humeur. Ce ne peut être Lancelot, car il n’est attaché à aucune dame ou demoiselle au point d’en porter l’enseigne. »
Sur ces entrefaites, Girflet, qui les avait rejoints, prit la parole en ces termes : « Reine, dit-il, sache que l’homme aux armes vermeilles et sur le heaume duquel flottait une manche n’était autre que Lancelot. Je l’avais une première fois surpris alors qu’il faisait route, en secret, vers Caerwynt. Et, après sa victoire, lorsqu’il quitta le tournoi, je le suivis pour m’assurer de son identité. Le déguisement qu’il portait m’en faisait en effet douter, mais je réussis enfin à le voir à visage découvert tandis qu’il s’en allait, grièvement blessé, avec un
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