La mort du Roi Arthur
dit à son écuyer : « Tu ne viendras pas avec moi car, si tu m’accompagnais, on te reconnaîtrait et moi de même par conséquent. Or, cela, je ne le veux pour rien au monde. » L’écuyer s’inclina, puisque tel était le désir de son maître, mais il protesta qu’il aurait préféré le contraire. Et, là-dessus, Lancelot et le fils du vavasseur d’Escalot quittèrent le logis de la dame et se rendirent directement dans la prairie de Caerwynt, qu’ils trouvèrent déjà toute couverte de jouteurs. Entouré de nombreux chevaliers, le roi Arthur était quant à lui monté sur la plus haute tour de la ville pour mieux admirer le tournoi. Avec lui se trouvaient Gauvain et son frère Gahériet, bien décidés tous deux à ne rien perdre du spectacle qui bientôt se déroulerait sous leurs yeux.
Résolu à se lancer tout de suite dans la mêlée, Lancelot s’affermit sur ses étriers, s’introduisit dans les rangs des combattants et décocha au premier chevalier qu’il rencontra un coup d’une telle vigueur qu’il le rua à terre avec sa monture. Il poussa sa pointe, car sa lance n’était pas encore brisée, et atteignit un autre chevalier, le frappant de telle sorte que, malgré bouclier et haubert, il lui fit au flanc une plaie large et profonde mais non mortelle, puis le pressa avec tant de violence qu’il le culbuta de son cheval et l’envoya voler tout étourdi de sa chute. Mais, du coup, sa lance vola en éclats.
Devant pareille prouesse, maint chevalier s’immobilisa, et d’aucuns affirmèrent n’avoir jamais vu personne accomplir un tel coup d’éclat. « Assurément, dirent d’autres, voilà le plus remarquable exploit qu’ait jusqu’à présent accompli un seul homme. On n’en verra pas de semblable aujourd’hui. » De son côté, le fils du vavasseur s’élançait contre Hector des Mares qui lui faisait face et le frappa si durement qu’il lui brisa sa lance sur la poitrine, mais Hector riposta si vigoureusement avec sa lance courte et grosse qu’il renversa tout ensemble cheval et cavalier. Dans l’assistance, quelqu’un s’exclama : « Et voici à terre l’un des frères d’Escalot ! » Ces derniers étaient en effet connus sous ce nom en quelque endroit qu’ils vinssent, parce qu’ils portaient les mêmes armes. Aussi les combattants prirent-ils Lancelot pour le second des deux.
Or, quand Lancelot vit le fils de son hôte ainsi mis à bas sous ses yeux, il en éprouva tant de peine qu’il se précipita sur Hector en brandissant une bonne et solide lance. Ils ne se reconnurent ni l’un ni l’autre, car ils avaient tous deux changé d’armes pour prendre part incognito au tournoi. Lancelot frappa son frère de toute sa force et l’abattit sous les yeux de Galegantin le Gallois. Gauvain, qui avait sans peine reconnu Hector auquel il avait procuré ses armes, dit alors au roi : « Mon oncle, ce chevalier aux armes vermeilles qui porte une manche sur son heaume n’est pas celui que je pensais mais un autre, je te l’assure, car jamais pareil coup n’est parti de la main des frères d’Escalot. – Et qui est-il donc, d’après toi ? demanda le roi. – Je l’ignore mais, sur ma foi, c’est un preux ! »
Entre-temps, Lancelot s’était arrangé pour remettre en selle son compagnon en le dégageant du plus épais de la cohue des combattants. De son côté, Bohort, qui traversait le pré en abattant des cavaliers ou leur arrachant tantôt heaumes et tantôt boucliers, finit par se trouver face à Lancelot, en pleine mêlée. Faute de le reconnaître, il ne le salua pas mais le frappa si rudement de sa lance que, lui perçant bouclier et haubert, il lui plongea le fer dans le côté droit, lui infligeant une profonde blessure. Et il s’était rué avec un tel élan et si bien affermi sur ses étriers qu’il le bouscula au surplus avec tant de force qu’il l’envoya mordre la poussière avec son cheval.
Lancelot ne demeura pourtant guère en cette fâcheuse posture. Quoique sa blessure le fît grandement souffrir, il bondit sur ses pieds puis en selle, saisit une lance qui gisait au sol et piqua droit sur Bohort. On leur céda la place dès qu’on vit qu’ils entendaient jouter ensemble, car ils avaient fait preuve tous deux d’une telle vaillance qu’on les tenait déjà pour les meilleurs jouteurs du tournoi. Alors, Lancelot, survenant au triple galop, frappa Bohort avec une telle violence qu’il le bascula de son cheval, selle entre les
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