La mort du Roi Arthur
né le même jour qu’un animal de cette espèce {23} . » Et ils indiquèrent à quel endroit, distant d’une bonne lieue. « Ma foi, dit Gahériet, je regrette fort qu’il soit mort en chassant un sanglier, car si j’en juge par son aspect, il aurait pu être un bon et noble compagnon d’Arthur. »
Quittant alors les écuyers, Gauvain, Gahériet et Girflet sortirent de la forêt sans trouver aucune trace des deux chevaliers qu’ils cherchaient et, de guerre lasse, ils regagnèrent Caerwynt. La nuit était déjà obscure quand ils arrivèrent. Dès que le roi les vit de retour, il demanda à Gauvain s’il avait retrouvé le chevalier. « Non, mon oncle, répondit Gauvain, il avait dû prendre un autre chemin que nous. » Le roi se mit à sourire. « Bel oncle, dit Gauvain, ce n’est pas la première fois que je te vois sourire ! » Le roi se mit alors à rire franchement. « Certes, mon neveu, répondit-il, et toi, ce n’est pas la première fois que tu cherches ce chevalier. M’est avis d’ailleurs que ce ne sera pas la dernière ! »
Gauvain comprit que le roi en savait plus long qu’il ne voulait le dire. « Mon oncle, reprit-il, puisque tu le connais, s’il te plaît, qui est-il ? – Je n’en ferai rien, répondit Arthur. Puisqu’il veut se cacher, je commettrais une vilenie en vous révélant son nom, à toi et aux autres. Mais tu n’y perdras rien, car tu le connaîtras certainement bientôt. » Le roi se tourna alors vers Bohort : « Sache en tout cas, dit-il, que jamais, de toute ta vie, tu n’as infligé à un chevalier blessure dont tu aies plus lieu de te repentir que de celle-là. Et, s’il en meurt, ce sera un grand malheur pour toi. » Hector, pensant que le roi disait cela par hostilité contre Bohort, bondit plein de colère et s’écria : « Seigneur roi, si le chevalier meurt de sa blessure, qu’il meure donc, car sa mort ne peut certainement pas me causer tort ni préjudice ! » Arthur le dévisagea d’un air étrange, mais il conserva le silence. Et pourtant, au fond de lui-même, il était fort affligé que Lancelot eût quitté le tournoi grièvement blessé, et il redoutait qu’il ne fût réellement en danger de mort.
Le lendemain, le roi et ses compagnons quittèrent Caerwynt et firent proclamer, juste avant de partir, que, dans le délai d’un mois, se tiendrait un autre tournoi à Dinas Emrys. C’était une forteresse sise à l’entrée du royaume de Norgalles et bien défendue de tous côtés. En lançant cet appel, le roi voulait maintenir chez ses chevaliers l’esprit d’audace et de prouesse. Sur ce, tous reprirent le chemin de Kamaalot. Quand vint le soir, Arthur s’arrêta dans la forteresse qu’on nommait Escalot et où il avait aperçu Lancelot lors de son premier passage. Il se logea dans le château avec une grande compagnie de chevaliers, tandis que Gauvain, par le plus grand des hasards, descendait dans la maison du vavasseur. Or, comme il se sentait un peu fatigué, il s’abstint de rejoindre le roi et dîna chez son hôte avec son frère Gahériet et quelques autres compagnons. Quand ils eurent pris place pour le souper, la jeune fille qui avait donné la manche à Lancelot interrogea Gauvain sur la façon dont s’était déroulé le tournoi et s’inquiéta surtout si l’on s’y était bien battu.
Gauvain lui répondit : « Jeune fille, je peux t’assurer que ce combat a été le plus beau que j’aie vu depuis bien longtemps. Le vainqueur en fut un chevalier à qui j’aimerais ressembler, car je n’ai rencontré personne de si brave depuis mon départ de Kamaalot. Malheureusement, j’ignore son nom. – Seigneur, dit la demoiselle, quelles armes portait-il ? – Des armes entièrement vermeilles. Il portait aussi sur son heaume une manche de dame ou de demoiselle. Je t’assure en vérité que, si j’étais une demoiselle, je voudrais que cette manche m’appartînt et que celui qui la portait m’aimât d’amour, car jamais je ne vis manche mieux mise à l’honneur que celle-là. » Quand la jeune fille entendit ces paroles, elle en conçut une joie profonde, mais elle n’osa pas la manifester devant l’assistance.
Tant que les chevaliers furent assis à table, la Demoiselle d’Escalot assura le service. La coutume voulait en effet, dans le royaume de Bretagne, que si des chevaliers errants étaient hébergés chez un homme de haut rang, la propre fille de leur hôte les servît : jamais elle ne se
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