La mort du Roi Arthur
cuisses, parce que les sangles et les courroies s’étaient rompues.
Gauvain, qui avait reconnu Bohort aussitôt à terre, dit au roi « Mon oncle, si Bohort a été renversé, il n’a certes pas lieu d’en rougir, car il ignorait à qui il avait affaire ! Certes, son adversaire est si valeureux que, sur ma tête, si je ne savais pertinemment Lancelot malade à Kamaalot, je dirais : C’est lui ! » Quand Arthur entendit ces paroles, il se mit à sourire. Il se doutait bien en lui-même de la vérité. « Beau neveu, dit-il, si ce chevalier, quel qu’il soit, a bien débuté, m’est avis qu’il fera mieux encore ! »
Cependant, une fois sa lance rompue, Lancelot saisit son épée, et il se mit à frapper de droite et de gauche, jetant les cavaliers à bas de leurs montures, tuant des chevaux, arrachant les boucliers des cols et les heaumes des têtes. Il accomplit ainsi de magnifiques prouesses, et tous les témoins s’en émerveillaient grandement. De leur côté, Bohort et Hector s’étaient relevés et, à peine remontés à cheval, ils se lancèrent dans une folle attaque contre Lancelot. Celui-ci recula, car il se sentait grièvement blessé et perdait tant de sang qu’il n’était certes plus au mieux de sa forme. Il concentra néanmoins tous ses efforts pour un assaut désespéré qui lui permit de repousser son frère et son cousin. Et ceux-ci se demandaient, non sans inquiétude, s’ils avaient affaire à un diable ou à un être humain. Et il en alla ainsi jusqu’à la fin du tournoi.
Au moment de partir, Gauvain dit au roi : « Assurément, mon oncle, j’ignore qui est ce chevalier dont le heaume porte une manche, mais j’ose l’affirmer, il mérite sans conteste le prix du tournoi et sa gloire. Aussi n’aurai-je de cesse que je ne sache son identité, car il a accompli des exploits comme on n’en voit guère ! – Certes, ajouta son frère Gahériet, je ne pense pas le connaître, mais j’affirme n’avoir jamais vu meilleur chevalier, mis à part Lancelot du Lac ! »
Pendant que le roi et ses neveux devisaient ainsi, Lancelot s’était éloigné avec le fils du vavasseur. Celui-ci l’ayant interrogé sur la direction qu’il désirait prendre. « Je voudrais, répondit Lancelot, trouver un endroit où demeurer quelques jours, car je suis si gravement blessé que le seul fait de me tenir à cheval me cause une douleur insupportable. – Retournons donc chez ma tante, dit le chevalier. Nous y serons en repos, et la distance n’est pas grande. » Ils s’engagèrent alors dans un sentier étroit qui courait parmi la forêt, et ils regardaient derrière eux à chaque instant, car Lancelot craignait que quelqu’un de la maison du roi ne tentât de le suivre. Ils ne virent cependant personne et finirent par arriver sans encombre à la demeure de la dame.
Or, tandis que tous deux s’enfonçaient dans le profond des bois, Gauvain, Gahériet et Girflet avaient tout fait pour les rejoindre. Dès après la fin du tournoi, ils étaient montés à cheval et s’étaient précipités dans la direction qu’ils avaient vu prendre au chevalier au bouclier vermeil. Après avoir parcouru environ deux lieues galloises à vive allure, ils croisèrent deux écuyers qui menaient grand deuil tout en emportant dans leurs bras un chevalier fraîchement tué. Se dirigeant vers eux, Gauvain leur demanda s’ils avaient rencontré deux chevaliers tout équipés d’armes vermeilles et dont l’un portait sur son heaume une manche de dame ou de jeune fille. Les écuyers répondirent n’avoir rien vu ce jour-là de tel. « Mon frère, dit Gahériet à Gauvain, tu peux être sûr qu’ils ne sont pas venus de ce côté. Au train que nous menions, nous les aurions déjà rattrapés. – J’en suis bien désolé, répondit Gauvain, mais nous devons poursuivre nos recherches. Cet homme est un si brave chevalier que j’aimerais faire sa connaissance. Et s’il était pour l’heure en ma compagnie, je n’aurais de cesse de l’amener à Lancelot afin de les présenter l’un à l’autre. »
Ils s’enquirent alors auprès des écuyers du mort qu’ils portaient. « Seigneurs, répondirent-ils, c’était un chevalier. – Et qui l’a blessé de la sorte ? – Seigneurs, c’est un sanglier qu’il avait traqué à l’entrée de la forêt. Mais nous le savions sous le coup d’un sortilège : un devin lui avait prédit que, s’il chassait un sanglier, il mourrait parce qu’il était
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