La mort du Roi Arthur
que tu cherches. Qu’attends-tu donc de moi ?
— Seigneur, répondit le chevalier, quelle agréable nouvelle tu me donnes là ! Je m’appelle Tristan le Nain et suis originaire de la marche de Bretagne où je possédais une forteresse. J’avais aussi une belle amie que j’aime autant que ma propre vie mais que j’ai perdue par grand malheur. La nuit d’avant-hier, on me l’a ravie. Estout, l’Orgueilleux de Châtel-Fier, l’a fait emmener de force. Il la retient dans son château et fait d’elle tout ce qu’il veut. Mon cœur en ressent une douleur si grande qu’il est sur le point de sombrer dans le plus profond désespoir. Je ne sais plus que faire. Jamais je n’ai éprouvé plus affreuse angoisse, et voilà pourquoi je suis parti à ta recherche, car on t’admire et te redoute fort. Aussi réclamé-je ton aide comme à l’un des meilleurs chevaliers de ce siècle-ci. En récompense, si tu consens, je te prêterai hommage et serai ton homme lige.
— Certes, répondit Tristan, je t’aiderai, ami, et de toutes mes forces, mais, pour l’heure, il se fait tard. Rentrons chez moi. Demain matin, nous nous équiperons et nous réglerons tout cela. » À ces mots, le chevalier devint rouge de colère. « Comment ? s’écria-t-il. Par ma foi, tu n’es pas celui dont on loue la valeur ! Je suis sûr que si tu étais Tristan, tu ressentirais la même douleur que moi, car le Tristan que je recherche a tant aimé qu’il connaît à fond le mal dont souffrent les amants, cette brûlure inextinguible ! Tristan entendrait-il ma requête, il ne me laisserait pas dans une telle angoisse et, sur-le-champ, partirait avec moi combattre l’Orgueilleux pour lui reprendre celle qu’il retient dans sa forteresse. Hélas ! il ne me reste, je le vois, qu’à m’en aller et à mourir, puisqu’aussi bien j’ai perdu l’amie qui m’est plus chère que tout au monde. » Et là-dessus, sans même saluer, il fit faire demi-tour à son cheval.
« Attends ! lui cria Tristan. Puisqu’il en est ainsi, je consens à t’accompagner immédiatement. Permets seulement que je me fasse apporter mes armes. » Une fois équipés, lui et Kaherdin suivirent donc Tristan le Nain. À force de chevaucher à travers forêts et vallées, tous trois arrivèrent au petit matin en vue de la forteresse d’Estout, l’Orgueilleux de Châtel-Fier. À la lisière d’un bois, ils s’arrêtèrent, descendirent de leurs montures et examinèrent ce qu’il convenait d’entreprendre.
Violent et cruel, l’Orgueilleux de Châtel-Fier avait six frères, chevaliers tout aussi hardis et vaillants que lui. Or, deux d’entre eux, revenant d’un tournoi, passèrent non loin de l’endroit où les deux Tristan s’étaient mis en embuscade. Ceux-ci les provoquèrent, les combattirent rudement, et finirent par les tuer. Mais le bruit de la bataille étant parvenu jusque dans la forteresse, les hommes de l’Orgueilleux s’équipèrent, enfourchèrent leurs montures et firent tant et si bien que les deux Tristan et Kaherdin durent les affronter tous ensemble. Au cours du combat, qui fut d’une violence inouïe, l’Orgueilleux et ses quatre autres frères furent tués, mais Tristan le Nain reçut un coup mortel, et Tristan de Lyonesse fut blessé aux reins par un épieu empoisonné.
À grand-peine, Kaherdin ramena son compagnon jusqu’à son manoir, situé non loin de la mer {42} . En fort piètre état, Tristan souffrait terriblement. Mais on eut beau mander des médecins pour le secourir, aucun ne put le soulager, faute de connaître un remède capable de neutraliser le poison. Et, tandis qu’ils s’activaient, cueillant des herbes et composant des emplâtres, l’état du blessé ne cessait d’empirer : le venin qui se répandait dans tout son corps le faisait enfler, lui noircissait le visage et, non content de lui ôter toute sa force, l’amaigrissait déjà au point de faire saillir chacun de ses os. Tristan savait que faute de secours rapides, il n’aurait d’autre solution que de s’apprêter à mourir, et il savait aussi que personne ne pouvait le sauver hormis la reine Yseult {43} . Mais Yseult était au loin, retenue dans son pays en la forteresse du roi Mark. Tristan ressentait dans son cœur une douleur bien plus atroce que celles que lui infligeait sa plaie, car le désir d’Yseult le tenaillait, le désir de sa présence, et c’était un désir impossible.
Il manda Kaherdin et le pria d’interdire à
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