La mort du Roi Arthur
Bretagne armorique. Du bord, en tout cas, la transparence de l’air permettait de distinguer la terre, et chacun se réjouissait de ce voyage si rapide et si agréable quand, soudain, un vent du sud des plus violents hérissa les flots et, frappant la voile de plein fouet, faillit faire chavirer le navire. Et les matelots eurent beau courir tourner la voile, ils furent, contre toute attente, repoussés en arrière. La mer se mit à bouillonner jusqu’en ses profondeurs, le ciel se couvrit de nuages, l’air s’épaissit, les vagues s’enflèrent et, sur l’onde noircie, la pluie, le grésil s’acharnèrent tandis que la tempête augmentait sans cesse de puissance, rompant boulines et haubans. Et l’équipage eut beau affaler en hâte, afin d’éviter le naufrage, le bâtiment se mit à dériver, battu par les flots et ballotté au gré du vent. Une lame plus forte que les autres y brisa même la chaloupe, et l’orage atteignit une violence telle que les marins eux-mêmes ne pouvaient plus demeurer debout sur le pont et que, tout en se lamentant, nul ne pouvait se retenir d’exprimer sa peur.
« Hélas ! se mit à crier Yseult, malheureuse que je suis ! Dieu me refuse de vivre assez pour revoir mon ami Tristan ! Il a décidé que je me noierai d’abord. Ah ! Tristan, Tristan ! Que n’ai-je pu te parler, il m’eût été indifférent de mourir ensuite ! Tu ne te consoleras jamais de ma mort, je le sais ! Elle te causera une telle douleur, en sus de la langueur qui déjà t’accable, que tu ne pourras jamais en guérir. S’il ne dépendait que de moi, je serais déjà près de toi, je te soignerais, mais Dieu ne le veut pas. Hélas ! il m’importe peu de mourir, à moi qui n’ai de pire douleur que te savoir désemparé, mais, en apprenant mon sort, tu mourras toi-même, car notre amour est si profond que je ne puis souffrir la moindre souffrance que tu ne la souffres également. Tu ne saurais mourir sans moi, ni moi sans toi. Tel est le destin qui a été le nôtre depuis que nous bûmes le même breuvage dans la même coupe ! »
La tourmente cependant devenait de plus en plus forte. « Ah ! Tristan ! reprit Yseult, si je dois mourir en mer, c’est que tu dois mourir noyé, toi aussi. Or, comme il n’est pas possible que tu meures noyé sur la terre ferme, il faut donc que tu aies pris la mer pour accourir à ma rencontre. J’aperçois ta mort devant moi, mais je sais bien que je vois aussi là l’ombre de ma propre mort. Hélas ! mon désir ne sera pas exaucé, à moi qui pensais mourir entre tes bras et, partageant le même cercueil, être ensevelie avec toi. Cela nous est refusé. Mais il peut arriver ceci, si mon sort est de me noyer et que, comme je le crois, le tien est de te noyer aussi, qu’un poisson nous avalera tous les deux. Un pêcheur alors peut-être le capturera et, voyant nos deux corps dans son ventre, nous reconnaîtra et honorera notre amour, comme il le mérite, d’un même tombeau. Mais non, non ! Tout cela est impossible ! Je veux que tu vives, Tristan, que tu vives longtemps après ma mort, guéri à tout jamais de ta blessure ! Tel est mon souhait le plus cher… !
« Hélas ! si tu guéris après ma mort, ami Tristan, je crains que tu ne m’oublies et ne finisses par trouver le réconfort entre les bras d’une autre femme. Ah ! cette pensée me torture ! Je redoute ton épouse, Yseult aux Blanches Mains, oui, c’est elle que je crains le plus. Mais je sais aussi que si tu mourais avant moi, je ne pourrais guère te survivre, moi… Oui, vraiment, mon esprit est troublé, mais c’est parce que je te désire plus que tout au monde. Que Dieu nous accorde d’être enfin réunis, qu’il me permette de te guérir et de vivre en ta compagnie, ou bien qu’il nous laisse mourir tous deux de la même angoisse ! »
Ainsi se lamenta Yseult la Blonde aussi longtemps que dura la tempête. Au bout du troisième jour, le vent tomba, la pluie cessa, les nuages se dissipèrent, et comme le soleil se remettait à briller dans le ciel, les matelots, rassurés, donnèrent toute la toile afin de cingler au plus vite jusqu’à la côte. Chacun s’abandonnait à sa joie d’en avoir réchappé, et l’on avait déployé bien haut la grand-voile afin que du plus loin pût s’apercevoir sa blancheur. Or, tandis qu’on naviguait joyeusement, la chaleur se leva, et le vent tomba si brusquement que le navire s’immobilisa sans pouvoir aller ni d’un côté
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