La mort du Roi Arthur
tout brave chevalier. Le lendemain, on enterra Gahéris à l’entrée de l’église de Kamaalot sous la plus riche pierre tombale possible et, d’un commun accord, les compagnons de la Table Ronde y firent inscrire l’épitaphe suivante : « Ci-gît Gahéris le Blanc de Karaheu, frère de Mador de la Porte, que la reine fit périr par le poison. » Puis, quoique le roi Arthur et tous les chevaliers fussent fort affectés de cet accident, on n’en parla plus jusqu’au jour du tournoi.
Quant à Lancelot, qui, après avoir quitté Bohort, Lionel et Hector, avait parcouru en tous sens la forêt qui entourait Kamaalot, il alla se loger, le soir venu, chez un ermite de sa connaissance qui l’accueillit très courtoisement. Or, le lendemain, comme il avait repris son errance, l’extrême chaleur l’incommoda si fort que, mettant pied à terre, il délivra son cheval de la selle et du mors, en noua les rênes à un chêne voisin, puis alla s’étendre au bord d’une fontaine et, à la faveur de la fraîcheur qu’elle dispensait, tarda d’autant moins à s’endormir qu’il se sentait très fatigué. Or, il advint que, poursuivi par les veneurs du roi, un grand cerf vint à la fontaine étancher sa soif et qu’un archer auquel la puissance de son cheval avait permis de distancer ses compagnons le joignit là et, sûr de l’atteindre en pleine poitrine, banda prestement son arc. Mais l’animal sut à temps bondir de côté, et la flèche alla se perdre si brutalement dans la cuisse gauche de Lancelot que le fer et une partie de la hampe la lui traversèrent de part en part. Le choc et la douleur firent bondir Lancelot qui, en apercevant son agresseur, s’écria : « Ribaud ! misérable ! Quel mal t’ai-je fait, que tu me frappes dans mon sommeil ? Tu vas t’en repentir ! » Et déjà il dégainait, prêt à se ruer sus à l’archer, quand celui-ci, le reconnaissant, fut tellement épouvanté qu’il s’enfuit sans demander son reste, et bien décidé à ne piper mot de sa fâcheuse mésaventure.
Bien incapable de se lancer à sa poursuite, Lancelot s’assit sur le rebord de la fontaine et parvint, non sans mal ; à extraire la flèche. Celle-ci lui avait fait une plaie profonde, et qui saignait à flots. Il déchira au plus vite un pan de sa chemise et s’en fit un pansement. Puis il alla à son cheval, lui remit la selle et le mors et, au prix de mille peines et souffrances, se hissa sur son dos et retourna où il avait passé la nuit. En le voyant dans ce piteux état, l’ermite ne manqua pas de s’étonner, et Lancelot dut lui conter ce qui s’était passé. « Mais ce qui me fâche le plus, ajouta-t-il, c’est que je manquerai le tournoi de Kamaalot, alors que j’ai déjà manqué récemment celui de Dinas Emrys par la faute d’une autre blessure qui me faisait cruellement souffrir. Oui, voilà ce qui me contrarie le plus. – Force t’est pourtant, dit l’ermite, de t’y résigner et, si tu m’en crois, de rester ici. Je ne vois pas de solution plus satisfaisante, et je m’efforcerai de te soigner de mon mieux. » Et c’est ainsi que Lancelot demeura à l’ermitage quinze jours sans pouvoir ni se remettre en selle ni chevaucher dans la forêt.
Au jour prévu pour le tournoi de Kamaalot, un grand rassemblement d’hommes de tous pays couvrit la prairie, devant la forteresse. Le roi Arthur et la reine Guenièvre assistèrent aux joutes et purent admirer les prouesses des chevaliers. Mais de tous ceux-ci, Bohort de Gaunes se distingua si nettement par sa bravoure et son impétuosité que chacun acclama en lui le vainqueur incontestable de la rencontre.
Le roi le manda près de lui et lui dit : « Bohort, il faut que tu restes à la cour et que tu y demeures aussi longtemps qu’il te plaira. – Je ne saurais y séjourner, répliqua Bohort, tant que mon cousin Lancelot ne s’y trouvera pas. – Mais, s’étonna le roi, qu’est-ce qui t’empêche d’attendre son retour en notre compagnie ? – Je ne le saurais ! s’excusa Bohort d’un air têtu. Quand j’ai vu Lancelot la dernière fois, il m’avait promis de se trouver au tournoi de Kamaalot, et j’y suis venu moi-même le rejoindre. Son absence ne peut s’expliquer que par un empêchement d’importance. Et, à mon avis, s’il n’est pas venu aujourd’hui, c’est qu’il a décidé de n’y jamais plus revenir. » Le roi Arthur fut abasourdi du ton amer avec lequel Bohort prononçait ces paroles. Il
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