La mort du Roi Arthur
Tous ceux qui étaient là baissaient les yeux, fort embarrassés. Guenièvre en fut tout affolée, car elle ne savait que faire mais, dominant son angoisse et sa peur, elle répondit : « Roi, je te prie de faire justice selon la décision de ta cour. – Dame, répondit Arthur, la décision de la cour est telle que, si tu reconnais le fait qu’on te reproche, tu es perdue. Cependant, on ne saurait te refuser un délai. Je t’accorde quarante jours pour prendre conseil et trouver un brave qui consentirait à entrer en champ clos pour défendre ta cause. – J’accepte ce délai », dit la reine. Quant à Mador, il assura qu’il serait présent dans quarante jours et quitta la salle, d’un air si affligé que tout le monde en était ému.
La reine se retira dans sa chambre et pria ses suivantes de la laisser seule. Tout accablée qu’elle était par le sort qui malmenait son innocence, elle ne pouvait imaginer qu’elle dût être condamnée pour un crime qu’elle n’avait pas commis. Mais elle savait bien qu’elle ne trouverait jamais, excepté dans la lignée du roi Ban de Bénoïc, aucun chevalier qui consente à se battre pour elle. Mais elle avait refusé de recevoir Lancelot, elle l’avait rejeté, elle lui avait fait savoir qu’elle ne lui pardonnerait jamais. Et elle avait tant affligé Bohort, Lionel et Hector que tous trois avaient quitté la cour sans qu’on pût espérer leur retour. Guenièvre se repentait amèrement de son intransigeance, et elle passa la nuit à pleurer et à se lamenter.
Or, le lendemain, vers l’heure de midi, se passa un étrange événement : une nef drapée de riches étoffes de soie aborda au pied de la grande tour de Kamaalot. Après avoir pris son repas avec quelques-uns de ses chevaliers, le roi se tenait à la fenêtre de la salle. Il regardait du côté de la rivière, tout pensif et abattu à l’idée que la reine ne pourrait trouver le moindre défenseur parmi ses barons, puisque tous avaient vu Guenièvre donner de sa propre main au malheureux Gahéris le fruit empoisonné. Ses yeux se posèrent alors sur la nef dont il admira la magnificence et la riche décoration. Il la désigna à Gauvain et lui dit : « Beau neveu, voici la plus belle nef du monde. Allons voir ce qu’elle contient. » Tous deux sortirent de la forteresse et se dirigèrent vers la rivière. « Par ma foi, dit Gauvain, si cette nef était aussi belle au-dedans qu’au-dehors, ce serait merveille ! Je dirais même que les aventures recommencent ! »
La nef était tendue d’une étoffe qui formait rideau et Gauvain, en soulevant un pan, proposa au roi : « Entrons voir ce qui se trouve à l’intérieur. » Le roi monta dans la nef et Gauvain le suivit. Une fois entrés, ils découvrirent au milieu un lit magnifique, orné de mille parures, et sur lequel reposait une jeune fille, morte depuis peu, semblait-il, et d’une grande beauté. « Ah ! s’écria Gauvain, que la mort est cruelle quand elle s’empare d’une créature aussi belle ! – Assurément, convint Arthur, cette demoiselle était bien jolie, et quel malheur que de mourir si jeune ! J’aimerais bien savoir qui elle était et d’où elle venait. »
Après l’avoir longuement regardée, Gauvain reconnut en elle la jeune fille qu’il avait priée d’amour le soir où il avait logé chez le vavasseur d’Escalot, celle-là même qui lui avait dit qu’elle aimait Lancelot. « Mon oncle, dit-il, je sais qui est cette demoiselle. – Vraiment ? Qui donc ? – Te souvient-il de la belle jeune fille, je t’en ai parlé l’autre jour, qui aimait Lancelot ? – Je m’en souviens, en effet. Tu m’as raconté que tu l’avais requise d’amour et qu’elle s’était refusée à toi parce qu’elle aimait Lancelot d’un amour profond. – Eh bien, c’est elle. – Tu m’en vois navré, dit Arthur. Je serais curieux de savoir la cause de sa mort, mais j’ai l’impression qu’elle est morte d’amour. »
Tandis qu’ils s’entretenaient ainsi, Gauvain aperçut une aumônière qui, attachée à la ceinture de la jeune fille, reposait auprès d’elle et paraissait pleine. Il la prit, l’ouvrit et en retira une lettre qu’il tendit au roi qui entreprit de la lire à haute voix : « À tous les chevaliers de la Table Ronde, la Demoiselle d’Escalot adresse son salut. À tous, j’adresse ma plainte, non que vous y puissiez porter remède, mais parce que je vous sais les gens les plus
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