La mort du Roi Arthur
vaillants et les plus dignes d’être aimés. Je vous fais clairement savoir que je suis venue à ma fin pour avoir loyalement aimé. Et si vous vous demandez pour l’amour de qui j’ai souffert l’angoisse de la mort, je vous apprendrai que je suis morte pour l’homme le plus vaillant, Lancelot du Lac, mais aussi le plus vil que je sache, puisque je l’ai supplié en vain et qu’il n’a pas daigné me prendre en pitié. Mon cœur n’a pas pu supporter d’être rejeté, et j’en suis donc venue à ma fin pour avoir aussi loyalement aimé Lancelot qu’une femme peut aimer un homme. »
Tel était le message que contenait la lettre. Arthur et Gauvain demeurèrent silencieux pendant un long moment, puis le roi murmura : « Certes, demoiselle, tu as raison de prétendre que celui pour lequel tu es morte est à la fois le plus vaillant et le plus vil. Car la vilenie qu’il a commise à ton égard est si monstrueuse que tout le monde devrait l’en blâmer. – Il n’empêche, intervint Gauvain, que j’ai calomnié Lancelot l’autre jour en prétendant qu’il aimait d’amour la Demoiselle d’Escalot. – Les apparences sont parfois trompeuses, reprit Arthur. Que faire maintenant pour cette pauvre jeune fille ? Je pense que le mieux est de l’enterrer avec honneur dans l’église de Kamaalot et de graver sur sa tombe une épitaphe qui attestera des causes de sa mort et perpétuera son souvenir après que nous-mêmes aurons disparu. » Gauvain répondit en se rangeant à cet avis.
Tandis qu’ils contemplaient la demoiselle et en déploraient le triste destin, les barons étaient sortis à leur tour de la forteresse et s’avançaient vers la nef. Le roi les invita à entrer, leur expliqua de quoi il retournait et fit ensuite transporter le corps dans l’église. L’histoire, de bouche à oreille, fit le tour du pays, et tous s’en émerveillèrent. Enfin, on en parla tant et tant que la reine finit par l’apprendre à son tour, et que Gauvain lui dit alors : « Hélas ! je sais aussi que j’avais affirmé au roi que Lancelot aimait cette demoiselle, et je m’en veux d’en avoir menti ! Si Lancelot l’avait aimée de grand amour, elle ne serait pas morte, c’est évident. – Gauvain, répondit la reine, on calomnie souvent, même ingénument, des braves, et c’est grand dommage, car ils y perdent plus qu’on ne pense. »
Là-dessus, Gauvain la laissa plus lasse et plus déprimée que jamais. Elle s’avouait malheureuse et privée de tout secours. « Infortunée ! se disait-elle, comment as-tu pu te tromper au point de croire Lancelot assez inconstant pour en aimer une autre ? Te voici seule, maintenant ! Tous les gens de la cour t’ont abandonnée en un si grand péril, et la mort t’attend, si tu ne trouves personne pour te défendre contre Mador de la Porte. Et pourquoi prendraient-ils fait et cause pour toi, quand ils savent que le tort est de ton côté et le droit du côté de Mador ? Hélas ! quelque faute que j’aie pu commettre, mon ami, s’il était ici, lui, le fidèle entre les fidèles, qui jadis déjà m’arracha à la mort, je suis sûre qu’il me délivrerait du danger qui pèse sur moi. Ah ! Dieu ! faut-il donc qu’il ignore dans quelle détresse est plongé mon cœur, ce que mon cœur souffre, et pour lui et pour moi ! Certes, il n’en sera pas averti à temps, car nul ne sait où il se trouve, et je devrai périr ignominieusement ! Il en mourra lui-même, je le sais, de chagrin, car jamais homme n’a aimé femme avec tant d’ardeur et de fidélité que lui ne m’aura aimée ! » Ainsi se lamentait la reine Guenièvre, déplorant amèrement la folle jalousie qui lui avait fait bannir de sa vie Lancelot du Lac.
Quant au fils du roi Ban, il était loin de la cour, toujours chez l’ermite où il se remettait, peu à peu, de la blessure que lui avait infligée le veneur. Un jour, vers le milieu de la matinée, il monta à cheval pour aller s’ébattre un peu dans la forêt et s’enfonça dans un sentier étroit. Au bout de quelque temps, il se retrouva dans une clairière où coulait une plaisante fontaine qu’abritaient deux arbres et auprès de laquelle était couché un chevalier qui avait déposé ses armes sur l’herbe verte entre lui-même et son cheval, lié à l’un des troncs. Le voyant endormi, Lancelot se garda de le réveiller mais, comme il désirait lui parler, décida d’attendre patiemment qu’il eût fini son somme. Il
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