La naissance du roi Arthur
cette
terre qui est maintenant l’Angleterre. C’était marée basse, mais les princesses
ignoraient l’existence des marées dans le grand océan. Elles furent très
étonnées, en se relevant, de voir les eaux qui refluaient. Bientôt, le bateau
se trouva entièrement à sec. « Les dieux nous protègent, se dirent-elles.
Ils nous ont sauvées de la tempête et nous ont conduites sur cette terre où
nous allons pouvoir trouver des secours. » Et elles se préparèrent à
mettre le pied sur le rivage. Alors, devançant toutes les autres, et malgré son
intense fatigue, la princesse Albine se précipita, sauta du bateau, et dès
qu’elle eut senti le sol ferme sous ses pas, elle s’écria : « En tant
que votre aînée, je prends possession de ce pays, quel qu’il soit, et je m’en
déclare la dame et la maîtresse ! Que les dieux qui nous protègent soient témoins
de cet acte sacré par lequel cette terre et tous ceux qui y vivent
m’appartiennent ! »
Les vingt-huit autres descendirent à leur tour du bateau.
Elles pouvaient à peine marcher tant elles étaient affaiblies par leurs
souffrances et leurs privations. Leur unique but était de découvrir de l’eau
bonne à boire et de la nourriture. Elles errèrent sur le rivage et
s’enfoncèrent plus à l’intérieur, au milieu d’une forêt sombre et profonde. Là,
elles découvrirent un ruisseau où elles s’abreuvèrent longuement. Puis elles
repartirent, mais ne découvrirent nulle habitation, nulle trace de vie humaine.
Il faut savoir qu’en ce temps-là, cette grande île que nous appelons la
Grande-Bretagne était totalement inhabitée, et qu’elle ne portait aucun nom.
Les princesses, ne trouvant âme qui vive, cueillirent des fruits sauvages et
déterrèrent des racines pour les dévorer avec avidité. Cette médiocre
nourriture n’avait rien de commun avec ce qu’elles avaient coutume de manger
dans leurs palais, mais elles étaient si affamées que non seulement elles s’en
contentèrent, mais furent toutes joyeuses de savoir qu’elles pourraient
survivre dans ce pays inconnu.
S’étant ainsi quelque peu réconfortées, elles pensèrent à se
protéger pour la nuit. Bien qu’elles n’eussent aucune expérience et aucune
habileté en la matière, elles purent néanmoins établir des abris de fortune
avec des branchages et répandirent des feuilles sur le sol afin de s’y reposer.
Elles étaient si harassées que, malgré la précarité de ces couches, elles
dormirent longtemps. Le lendemain, elles s’enfoncèrent plus avant dans les
bois, cherchant une quelconque trace d’habitation. Mais elles n’en trouvèrent
point. Par contre, elles découvrirent quantité de fruits sauvages dans les
arbres, pommes, prunelles, châtaignes, glands, nèfles, et même des fraises
sauvages dans les grandes herbes. Et plus loin, elles virent des oiseaux de
toutes couleurs dans les branches, et aussi des bêtes sauvages qui s’enfuyaient
à leur approche, des lièvres et des sangliers notamment, ce qui leur fit un peu
peur, mais qui les réconforta. Elles finissaient en effet par comprendre que ce
pays était inhabité et que, puisqu’elles ne retrouveraient jamais leur patrie,
il leur fallait s’organiser et tirer parti de ce que la nature leur fournissait.
Alors l’aînée, la princesse Albine, prit la parole :
« Mes sœurs, nous voici donc exilées de la terre qui
nous a vu naître, mais les dieux nous ont accordé ce pays désert dont je dois
être la maîtresse puisque j’y ai abordé la première, et en vertu de mon droit
d’aînesse. Si l’une d’entre vous conteste mon autorité, je la prie de bien
vouloir me démontrer en quoi je pourrais avoir tort ! » Albine toisa
ses sœurs avec arrogance. Aucune d’elles n’osa prendre à partie son aînée tant
celle-ci était redoutée : chacune savait en effet qu’elle serait capable
de se débarrasser immédiatement de la moindre perturbatrice. Elles applaudirent
toutes à ce que disait Albine, la confirmant dans son rôle de chef. Albine
continua ainsi : « Cette terre où nous sommes, nous n’en savons pas
le nom, et sans doute n’en a-t-elle pas puisqu’elle est inhabitée. C’est pour
cette raison qu’elle doit être appelée de mon nom, puisque j’en suis la
maîtresse légitime. Et puisque Albine est mon nom, je déclare que cette terre
sera nommée Albion [8] .
Ainsi, désormais, mon nom et notre souvenir resteront à jamais gravés dans ce
pays jusqu’à
Weitere Kostenlose Bücher