La naissance du roi Arthur
étonnamment grands de corps et de stature. Cela, nul ne peut
en douter, et il n’est pas rare de découvrir, lorsqu’on fouille la terre de ce
pays, surtout sous les grands monuments de pierre dressés un peu partout, des
ossements qui ne peuvent être que des ossements de géants appartenant à une
race monstrueuse et maudite. Et, au fur et à mesure que le temps passait, cette
engeance diabolique se multipliait, envahissait les plaines et les vallées, et
surtout les montagnes, là où ils ont laissé le plus de traces. Car les géants
étaient non seulement puissants par eux-mêmes, mais ils connaissaient les
secrets des pierres et des métaux, et ils pouvaient construire de grands
bâtiments. Ainsi creusaient-ils des cavernes dans le sol, les entourant de
grandes murailles, et creusant, à l’avant de celles-ci, des fossés
infranchissables. Les géants craignaient d’être attaqués par des ennemis et
mettaient tout leur soin à se protéger les uns des autres, tant leur méchanceté
était grande et leur orgueil démesuré.
Ils n’avaient aucune organisation véritable. Leur force et
leur volonté farouche de dominer par tous les moyens, telles étaient leurs
seules lois. Et comme leur force était non seulement terrible mais à peu près
égale pour tous, ils se livrèrent entre eux à de sanglantes batailles dans
lesquelles il n’y avait ni vainqueurs ni vaincus. C’est ainsi qu’à force de se
combattre, ils finirent pas s’exterminer mutuellement, et lorsque le héros
Brutus parvint en cette île d’Albion, en l’an 1136 avant la naissance de Notre
Seigneur, à ce qu’on dit, les géants n’étaient plus que vingt-quatre à se
partager un immense territoire, se surveillant férocement les uns les autres et
n’hésitant pas, à la moindre faiblesse d’un de leurs voisins, à s’emparer de
tous ses biens. Mais quand les géants apprirent que venaient de débarquer des
gens venus d’ailleurs, et qui avaient l’allure de redoutables guerriers, ils
firent taire leurs querelles et s’apprêtèrent à livrer contre eux une bataille
qui les rejetterait à la mer [11] .
Brutus venait de très loin. Il était le petit-fils du héros
Énée, qui s’était échappé de Troie en flammes et qui, au terme de nombreuses
aventures, avait fondé, en Italie, la ville qui allait plus tard devenir Rome.
Mais alors qu’il était encore adolescent, Brutus, au cours d’un tournoi qu’il
disputait, avait tué son père, par maladresse, d’un coup de javelot mal lancé.
Ce drame avait été ressenti comme une malédiction, et l’on ne pouvait que se
séparer d’un parricide, même involontaire, qui aurait provoqué à coup sûr la
vengeance des dieux sur la communauté. Brutus avait donc été condamné à l’exil.
Et comme il errait de pays en pays, de rivage en rivage, il s’arrêta un jour
dans un temple de Diane pour y méditer. C’est là qu’il entendit une voix
lointaine lui dire de ne pas perdre courage et de se préparer à une grande
mission : il devait en effet donner son nom à une grande île, quelque part
à l’ouest du monde. Tout réconforté par cette révélation, Brutus avait
rassemblé quelques compagnons et s’en était allé dans le pays des Gaulois. Là,
il s’était mis au service de quelques chefs et avait acquis beaucoup de gloire
dans des combats difficiles. Et surtout, il s’était lié d’amitié avec un autre
exilé, venu lui aussi d’Italie, un jeune homme de belle allure et de grande
bravoure du nom de Corineus. Avec lui, il avait préparé très soigneusement une
expédition, et tous deux s’étaient embarqués sur un beau navire, sur l’océan,
dans la direction du soleil couchant. Et c’est alors qu’avec une troupe de
guerriers habiles et généreux, Brutus et Corineus avaient débarqué sur le
rivage de ce qui est aujourd’hui Totnais, en péninsule de Cornouailles.
Brutus savait que le nom de l’île était alors Albion. Il
savait également qu’elle n’était habitée que par quelques géants et que ces
géants s’opposeraient sans aucun doute à leur expédition. Cependant, la
situation des lieux était très agréable, et cela plut grandement à Brutus, à
Corineus et à leurs compagnons, car les rivières abondaient en poissons et les
nombreuses forêts étaient pourvues de beaucoup de gibier. Ils commencèrent par
se construire des demeures, non loin de l’océan, mais à l’abri des vents du
large, puis ils se mirent à cultiver les
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