La naissance du roi Arthur
devoir abandonner ces pouvoirs, ou
du moins les partager avec ceux qui étaient devenus leurs époux ? Au fond
d’elles-mêmes, c’était là chose qu’elles se refusaient à admettre. Et comme
elles s’entendaient parfaitement entre elles, la nuit précédant leur départ de
la cour du roi, elles s’étaient réunies en grand secret, à l’écart de la ville,
dans l’enceinte d’un temple que personne n’osait approcher pendant la nuit.
Alors, la princesse Albine, en tant qu’aînée, avait pris la
parole et s’était adressée ainsi à ses sœurs : « Nous sommes les
filles du plus puissant roi de la terre, d’un roi qui n’est soumis à nul autre
roi, et nous ne pouvons décemment, sans déchoir de notre rang, obéir à d’autres
personnes qu’à nous-mêmes. Or, nos époux vont obligatoirement nous commander et
attenter ainsi à notre puissance de décision. » Toutes les autres avaient
été sensibles à cet argument et avaient manifesté leur accord. « Oui, dit
l’une, il n’y a pas de raison pour que nous consentions à subir le joug d’un
maître. C’est à nous et à nous seules de commander non seulement à nos propres
personnes mais aussi à nos époux et à tous ceux qui leur sont soumis [7] . » Cet avis avait
grandement plu à toute l’assistance, et on s’était mis à discuter des moyens à
employer pour qu’elles pussent rester maîtresses absolues de la situation. Les
débats furent assez longs mais, à la fin, la princesse Albine avait apporté une
conclusion qui était en fait une résolution en bonne et due forme :
« Nous nous efforcerons, par tous les moyens, d’obliger nos époux à suivre
nos directives, et s’ils refusent de nous écouter, nous ferons en sorte de les
éliminer afin de rester maîtresses de notre destin. » Toutes ses sœurs
avaient applaudi et s’étaient séparées sur la promesse de se réunir dans
quelques mois pour faire le point sur la situation. Et c’est dans cet état
d’esprit que les filles du roi de Grèce s’en allèrent dans leurs nouveaux pays.
Mais les temps n’étaient plus au triomphe de la femme :
si celle-ci proposait, c’était l’homme qui disposait. Les filles du roi de
Grèce s’en aperçurent très tôt, et comme elles se l’étaient promis, elles se
réunirent de nouveau en un endroit secret pour examiner leur situation et les
moyens à employer pour maintenir coûte que coûte leur primauté absolue sur les
hommes. Il n’y avait guère d’espoir que les maris devinssent les fidèles
exécutants des volontés de leurs épouses : il fallait donc agir rapidement
et de façon radicale. Il n’y avait plus à reculer : « Mes sœurs, dit
encore Albine, prenons l’engagement solennel de tuer de nos propres mains nos
époux, toutes au même moment et le même jour, lorsqu’ils seront étendus entre
nos bras, s’imaginant atteindre la suprême jouissance ! » Les trente
sœurs fixèrent un jour précis pour l’accomplissement de leur dessein et
jurèrent toutes de ne manifester ni faiblesse, ni reculade, ni remords. Toutes,
sauf une, la plus jeune, qui prononça le serment du bout des lèvres. Elle
aurait bien voulu intervenir au cours de l’assemblée, pour démontrer à ses
sœurs l’injustice et la cruauté de ce projet, mais elle avait eu peur que les
autres ne l’eussent mise à mort pour qu’elle ne pût trahir le secret. Car il
faut dire que cette jeune femme aimait tendrement son mari et que celui-ci le
lui rendait bien : jamais elle n’eût consenti à lui nuire d’aucune façon.
Elle se tut donc, et l’assemblée se sépara, chacune des sœurs rentrant chez
elle auprès de son époux.
Mais quand elle fut en face de l’homme qu’elle aimait, la
plus jeune ne put cacher sa profonde mélancolie, tant et si bien que le mari
remarqua sa gêne et sa tristesse. Il lui en fit la remarque, lui demandant
quelles sombres pensées l’agitaient ainsi. D’abord décidée à ne rien dire –
n’avait-elle pas prononcé le terrible serment ? – elle finit cependant par
se jeter aux pieds de son mari, lui demandant pardon et lui dévoilant les
moindres détails du complot ourdi pour sa perte et celle de ses beaux-frères.
Mais, au lieu d’exploser de colère, le mari se pencha, saisit tendrement sa
femme en larmes, la redressa et l’embrassa en lui donnant les plus grands
signes d’amour qu’elle eût jamais connus. Et il dit : « Femme, sois
sans inquiétude et abandonne ton chagrin :
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