La naissance du roi Arthur
accomplit sa « quête du Graal ».
C’est dire l’importance toute particulière que revêtent ces
récits surgis d’un très lointain passé. À travers l’extraordinaire, le
merveilleux, le fantastique, ils définissent une règle de vie que nous avons
non pas perdue mais négligée. Et, à l’heure où l’on tente, avec courage mais
dans la plus grande confusion, de construire l’Europe, ou plutôt de la
reconstruire comme on assemble les débris d’un vase de porcelaine, quand chaque
peuple essaie de concilier son nationalisme agressif hérité des péripéties de
l’histoire et sa volonté altruiste de fraternité universelle, ce cycle du Graal
et du roi Arthur peut apparaître, non pas comme un modèle, mais comme une
extraordinaire source de réflexions. Car, après tout, il s’agit là, sous une
forme symbolique et imagée, d’une véritable synthèse des pulsions fondamentales
des peuples qui ont constitué l’Europe, et dont nous sommes, qu’on le veuille
ou non, les héritiers authentiques. Le succès de ces Romans de la Table Ronde,
au cours du Moyen Âge, ne s’explique pas autrement : chacun y trouvait
quelque chose de lui-même. Et c’est sans doute le moment opportun de leur
rendre leur dimension originelle en tant que témoignage d’une tradition
européenne trop longtemps mise en sommeil. La légende prétend que le roi Arthur
n’est pas mort : il se trouve « en dormition », quelque part, au
milieu de l’océan, dans une énigmatique île d’Avalon, veillé par les fées, et,
un jour, il se réveillera et reviendra, étreignant dans sa main l’épée de
souveraineté, afin de reconstituer le royaume idéal que les puissances des
ténèbres l’avaient autrefois empêché de réaliser. Millénarisme ?
Peut-être, mais hautement significatif.
Les œuvres littéraires les plus célèbres – mais il en est de
même pour toute œuvre d’art – sont celles qui s’adressent au plus profond de
l’inconscient humain. Elles ne font qu’exprimer, grâce à des techniques
particulières de mémorisation et sous des formes concrètes, un ressenti qui
n’ose point parvenir jusqu’au seuil de la conscience logique. C’est aussi le
cas des épopées, des grands récits mythologiques dont les auteurs, la plupart
du temps anonymes, parfois collectifs, sont les transcripteurs de données
antérieures constamment remises à jour selon les circonstances. Longtemps
considérées comme des œuvres maladroites, comme des récits naïfs d’une époque
révolue où régnaient le désordre et l’irrationnel, les épopées apparaissent
maintenant comme de grandes créations de l’esprit, aussi bien dans leur aspect
esthétique que dans leur contenu. Encore faut-il les appréhender et les
connaître dans leur authenticité.
Et c’est là que les difficultés commencent, en particulier
pour les récits celtiques ou d’origine celtique. Car ils constituent une sorte
de corpus inorganisé, un ensemble de textes d’époques et de langues
différentes, une suite d’épisodes le plus souvent fragmentaires et parfois
inachevés ou même contradictoires : dans ces conditions, s’arrêter à une
seule œuvre ne peut permettre d’en tirer des conclusions d’ordre général. Le
Graal, dans le poème français de Chrétien de Troyes, Perceval ,
est un objet mystérieux, un simple récipient dont l’auteur ne nous dit pas ce qu’il contient. Trente ans plus tard, l’un des
continuateurs de Chrétien de Troyes en fait un calice contenant le sang du
Christ et, au milieu du XIII e siècle, la version dite
« classique » ou encore « cistercienne » de la légende le
présente comme l’écuelle qui servit à Jésus pendant la Cène. Quant à Wolfram
von Eschenbach, auteur de la version allemande du Parzival ,
au début du XIII e siècle, il nous montre le Graal comme une
mystérieuse pierre tombée du ciel et sur laquelle, chaque vendredi, une colombe
vient apporter une hostie. Et, dans certaines versions, le héros du Graal est
Perceval (ou Parzival, ou Perlesvaux, ou Peredur), tandis que dans la version
cistercienne, c’est le pur Galaad, fils de Lancelot du Lac, qui est l’heureux
découvreur du vase sacré. Dans ces conditions, il n’est guère aisé de s’y
reconnaître, et encore moins de prétendre que telle ou telle version est la
bonne, ou du moins la plus conforme à un éventuel original qui aurait été
perdu.
Ce sont quelques exemples pris à travers les
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