La nef des damnes
rejoints.
— Que puis-je faire ? demanda Bjorn.
— Savez-vous de quel armement vous disposez ? Je me souviens qu’au moment de notre escale à La Rochelle, Corato m’avait parlé d’arcs et de flèches et d’une baliste qui jadis se fixait sur le gaillard d’arrière...
— Oui, et nous avons aussi quelques javelots. Pour l’arbalète, je ne sais pas si elle est en état de servir ou non. Tout ça est entreposé dans la cale.
— Tancrède va vous aider à les monter.
Le jeune Normand hocha la tête, il se demanda quelle solution son maître allait trouver alors que lui n’en voyait guère d’autre que la fuite ou un combat perdu d’avance.
— Mais avant, reprit Hugues, voyons où sont l’étoupe et la poix.
Bjorn les entraîna vers le gaillard d’avant.
— L’étoupe, fit-il en désignant deux ballots enveloppés de toile goudronnée. La poix est dans les barriques marquées d’une croix.
Hugues chargeait un des ballots sur son dos quand Dreu vint le rejoindre. Le jeune moine cistercien, si timide et fluet au début de leur périple, s’était enhardi et avait pris du poids. Oubliant le mal de mer qui le taraudait, il s’était amariné et marchait maintenant d’un pas assuré sur le pont, ne dédaignant pas d’aider aux manœuvres quand il le pouvait.
— Je ne vaux rien sur les bancs de nage, dit-il. Mais peut-être puis-je vous aider, sire de Tarse ?
— Volontiers, mon frère. Prenez l’autre et suivez-moi. Nous reviendrons ensuite chercher un tonneau.
Une fois l’étoupe et la poix posées non loin du gaillard arrière, Hugues sortit le long couteau qu’il portait à la taille et le tendit à Dreu.
— Ouvrez ça, mon frère, et sortez-nous de la filasse.
Bertil et le Bigorneau, les mousses, s’étaient approchés :
— On a fini de tout nettoyer et le capitaine nous a ordonné de vous prêter main-forte, messire.
— Il a raison, nous avons besoin de bras.
Bientôt tout l’armement dont disposait le knörr se trouva aligné sur le pont près du dortoir des passagers.
Un cercle se formait autour quand retentit un nouveau cri d’alerte. Les regards se tournèrent dans la direction indiquée par la vigie. Le dromon, qu’ils avaient réussi à distancer pendant un moment, hissait ses larges voiles carrées.
— C’était à prévoir, ils ne nous laisseront pas leur échapper aussi facilement. Le temps presse, déclara Hugues.
Puis il rappela tout le monde à l’ordre :
— Laissez Corato et ses marins à leur ouvrage et écoutez-moi.
Tout en disant ces mots, il soupesait les longs javelots rangés sur le pont et examinait les arcs, des long bows gallois et les flèches aux empennages de plumes de cygne.
— Tancrède, vous souvenez-vous des falariques décrites par Tite-Live ?
Une lueur s’alluma dans les yeux du jeune homme.
— Oui, maître.
— Alors, fabriquez-en plusieurs avec l’aide de frère Dreu et des mousses, et faites de même pour les flèches.
Tancrède tira à lui les ballots d’étoupe et, tout en entourant des morceaux de filasse à la base de la pointe d’un javelot, expliqua ce qu’étaient les fabriques à ses compagnons. Eleonor et Afflavius les avaient rejoints, proposant leurs services. Voyant que tous s’affairaient, Hugues s’agenouilla pour examiner les morceaux de la baliste. C’était une arbalète géante. Un treuil sur lequel s’enroulait un câble servait à bander l’arc fait de bois, de nerfs et de tendons. Heureusement, l’ensemble, qui craignait fort l’humidité, avait été serré dans des sacs de toile goudronnée. Tout semblait intact. Hugues saisit l’un des carreaux, long comme le bras, et le jugea tout à fait capable d’endommager la coque du dromon. Quant à la portée de l’engin, elle devait approcher les cent toises. Mais arriverait-il à l’installer et à le faire fonctionner ? Il ne restait plus qu’à la monter sur le gaillard arrière pour le savoir.
— Tancrède, Bjorn, frère Dreu, venez m’aider !
Non sans mal, les quatre hommes hissèrent l’engin près du capitaine.
— Il faut l’installer là-dessus, fit Corato en leur désignant une sorte de trépied fixé à même le tillac. Et dire que je projetais de le démonter et de laisser la baliste dans nos entrepôts de Syracuse ! La Madone est avec nous. Mais cette baliste n’a jamais servi, messire. J’ai toujours eu des navires d’escorte et cette précaution voulue par mon armateur, le sire Délia
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