La nef des damnes
me chercher le pilote. Je veux savoir où nous sommes. Nous allons faire demi-tour.
— Et remonter au vent, répliqua Knut en observant la wirewire dorée qui s’obstinait à désigner la côte de l’al-Andalus. Le voilà qui arrive.
En effet, un Oriental vêtu des traditionnelles braies courtes des marins, la taille serrée d’une ceinture de toile, venait vers eux. Embarqué à La Rochelle, le Breton Pique la Lune étant peu habitué aux eaux de la mer intérieure, Jacques devait les guider jusqu’à Syracuse. Il s’inclina devant le stirman qui lui demanda :
— Sais-tu où nous sommes ?
L’homme n’avait guère eu le temps encore de faire autre chose que de sonder avec Pique la Lune. Il prit un moment, observant la côte pour y chercher ses repères.
— Nous avons laissé derrière nous le « miroir de la mer », énonça-t-il lentement.
— Le miroir de la mer ?
— Al-Meriya, c’est son nom.
— Tu ne m’apprends rien, grommela Harald que les manières du pilote exaspéraient. Avons-nous assez de fond ?
— Oui, oui, répondit l’autre, on a vérifié, la côte est franche.
— Tu ne m’as toujours pas dit où nous sommes...
Sentant l’impatience du Norvégien, Jacques tendit le doigt vers les ruines d’une chapelle puis vers le cap qu’ils avaient doublé et qui leur masquait maintenant i la vue de la haute mer.
— Je connais ces ruines, maître, et ces trois rochers plantés sur le rivage comme des veuves qui attendent le retour de leurs maris perdus en mer. Nous sommes entrés dans la baie de Carthagène. Ce cap protège l’anse des vents dominants.
— Et ce port que nous apercevons là-bas ?
— Ce doit être Escombreras. À deux lieues de Carthagène. Quels sont vos ordres, mon maître ?
Harald ne répondit pas. Le chef des guerriers fauves, Magnus, s’avançait vers eux. Vêtu d’une cotte d’épais drap noir, sa hache de guerre en travers du dos, l’homme avait le crâne rasé, le visage couturé de cicatrices et seul le torque d’or qui enserrait son cou le différenciait de ses guerriers. Dans son pays, les lointaines îles Orcades, Magnus était un jarl, une sorte de prince. Déchu de son pouvoir pour des raisons connues de lui seul, il était parti avec ses guerriers pour se mettre au service d’Henri II Plantagenêt. Devenu le chef de sa garde d’élite, il avait été chargé de convoyer de riches présents vers la Sicile et le roi Guillaume. Une façon pour Henri II de resserrer les liens avec ce lointain royaume et le successeur de Roger II de Sicile.
— Il y avait plus de sable que d’eau dans cette tempête-là ! s’exclama Magnus avec un rire sonore.
L’homme semblait d’excellente humeur. Il reprit :
— Je composerai une strophe à notre victoire et toi ! Harald, tu y figureras en bonne place, enchaîné au hel malgré la tourmente !
Harald hocha la tête. Les jours de mer passés en compagnie du jarl lui avaient appris à connaître son tempérament ombrageux et il savait que le mieux avec ! lui était de garder le silence. ;
— C’était le simoun, remarqua le pilote. Un vent de ! sable venu des déserts d’Afrique.
— Simoun...
Magnus avait répété ce nom à la sonorité étrange, puis il se tourna à nouveau vers le stirman.
— Tu sais où nous sommes ?
— Oui, d’après Jacques, tout près de Carthagène.
— Nous remettons-nous en route ?
— Oui... Et nous faisons demi-tour.
— Demi-tour !
Le visage du jarl s’était durci. Le Norvégien poursuivit cependant :
— Il faut retrouver le knörr.
Magnus jura en norrois, puis jeta :
— Tu sais bien, Harald, que je te respecte, mais combien de temps allons-nous encore traîner ce bateau aussi rapide qu’un fardier de caillasses ? Et puis le vent est pour nous. Si nous rebroussons chemin, nous devrons remonter à la rame.
— Tant que je commanderai le serpent, nous escorterons le knörr.
Magnus allait répliquer mais Harald poursuivit :
— Ainsi qu’il en a été décidé par notre grand roi Henri.
— Nous en avons déjà maintes fois débattu, Harald, et je continue à penser qu’il y a danger à naviguer avec ce navire marchand. Comment le roi peut-il penser que nous arriverons à protéger efficacement son trésor ? Sans le knörr, nous serions déjà à Syracuse !
Le regard fixé sur la chapelle en ruine, le Norvégien répondit :
— Sans doute le roi pense-t-il avec justesse que vous et vos guerriers
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