La nièce de Hitler
Hoffmann. Sois
poli !
— Et Emil Maurice ? demanda Röhm.
— Cela fait des mois que je ne l’ai pas
vu.
La satisfaction fit s’enfoncer Röhm dans sa
propre chair.
— Moi si. Il conduit toujours Hitler.
— Vraiment ?
— Vraiment. On oublie et on pardonne.
— Oncle Adolf est coutumier du fait, dit-elle
d’un ton sarcastique.
Amann la regarda en fronçant les sourcils, puis
Röhm poursuivit.
— Emil m’a dit que vous êtes modèle, maintenant.
Et Amann sourit.
Qui d’autre avait vu les dessins de son oncle ?
Est-ce qu’elle était l’objet de commentaires obscènes à sa Stammtisch ?
Rouge de honte, se sentant trahie, elle se tourna vers Hoffmann qui finissait
sa flûte de Champagne.
— Vous me faites danser ? lui
demanda-t-elle ardemment.
— Pourquoi pas ?
En l’emmenant sur la piste, lui tenant la
taille d’un geste paternel, il lui confia :
— J’ai déjà vu cette expression chez
Adolf. Nous l’appelons « fureur rentrée ».
— Emmenez-moi d’ici, l’implora-t-elle.
— S’il vous
plaît, pas tout de suite à la maison, dit Geli alors qu’ils avaient pris la
direction de l’appartement.
Hoffmann obliqua donc complaisamment dans le
Jardin anglais, où ils descendirent de voiture. Il la conduisit vers une
baraque où il acheta des Paulaner, et le marchand complimenta Geli pour son
bandeau à plume et sa belle robe. Puis, dans la douceur floue de la nuit, ils
allèrent s’asseoir sous les poutres et les lanternes jaunes de la Tour chinoise
à cinq étages. Hoffmann avala la moitié de sa première bière et tapa du poing
sur une solive en regardant au-dessus de lui.
— Il paraît que c’est la copie de la
Pagode de Kew Gardens, à Londres.
Elle ne disait rien. Elle buvait sa Paulaner.
Il s’assit à côté d’elle.
— Nous essayons de décider Adolf à aller
en Angleterre, mais il ne veut pas voyager en dehors de l’Allemagne. Il estime
que c’est au monde de lui rendre visite.
Elle poussa un soupir.
— C’est un Américain qui a conçu ce
jardin, reprit Hoffmann. Benjamin quelque chose. Connu sous le nom de comte
Rumford. Ma mère nous faisait de la soupe Rumford lorsque nous étions fauchés. À
base surtout de pommes de terre, avec un soupçon de bacon émincé, et de l’avoine,
de l’eau, du vinaigre, du sel.
Elle pleurait en silence, ses larmes luisant
sous les lanternes.
— Allons, qu’est-ce qu’il y a ? Röhm
n’est qu’un gros porc.
— Je suis toujours enfermée, dit-elle. Je
dois faire tellement de concessions. Et de toute façon tout le monde me déteste.
— Qui ça ?
— Tous ses amis, les gens froids, cruels
et stupides de la Maison brune. Je ne suis pas détestée, peut-être ?
— Cordialement, concéda-t-il.
— Mais pourquoi ?
— Il y a ceux qui pensent que vous le
perturbez. Qui pensent qu’il est distrait. Affaibli. Et franchement il y a des
rumeurs de scandale. Un oncle et sa nièce qui vivent ensemble. Nous pourrions
être anéantis.
— Qui vivent ensemble ?
Hoffmann accusa le coup.
— Ce n’est pas le cas ?
— Mon oncle est un monstre !
— Voyons, ce sont les communistes…
— Oh, vous n’avez pas idée !
Elle sentit sa gêne et son ambivalence, son
désir de s’enfuir sans entendre les accusations de Geli, mais le père en lui
décida de rester.
— Racontez-moi.
Elle contint ses larmes. Elle reprit son
souffle tant bien que mal.
— Il me fait faire des choses répugnantes.
— Quoi, par exemple ?
— Je dois le fouetter et l’insulter pendant
qu’il se touche. Il veut que j’urine sur lui. Et pire. Des choses que je ne
peux pas dire.
— Il vous force ?
Elle hocha la tête.
— C’est arrivé souvent ?
— Quatre fois maintenant. Pratiquement
une fois par mois.
Elle vit qu’il voulait lui poser d’autres
questions, mais qu’il s’en abstint. Délibérément, il se leva et s’éloigna de
quelques mètres, passant au crible la confession de Geli. Au bout d’un moment
il semblait aussi silencieux qu’un moteur éteint depuis tellement longtemps qu’il
aurait été froid au toucher.
— Nous avons tous nos secrets, Geli, lui
dit-il sans la regarder. En ce qui me concerne, je n’ai rien entendu de tout
cela. Personne ne me fera dire le contraire. Et là c’est le père qui vous parle,
je vous supplie de ne pas vous confier à Henny.
Elle le regarda qui feignait de regarder la
lune, et elle se rendit compte qu’elle était
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