La nièce de Hitler
bureau de
façon qu’Anni Winter le voie quand elle ferait le ménage.
Comme elle avait à peine fermé l’œil, elle
resta au lit, feuilletant sans enthousiasme la partition de l’opérette de Paul
Lincke Frau Luna, jusqu’à ce que le téléphone résonne dans le vestibule.
— Fräulein Raubal ! C’est votre mère !
lui dit Anni à travers la porte.
Elle alla dans le bureau d’Hitler et garda le
combiné noir dans la main tant qu’elle ne fut pas sûre de ne pas se mettre à
pleurer. Puis elle l’approcha de son oreille.
— Allô, maman ?
— Adolf t’a dit ? demanda Angela.
Elle enleva les cheveux de sa figure.
— Quoi ?
— Il va m’acheter une auto ! Une
Wanderer ! Je n’arrive pas à le croire ! Je suis si contente !
Geli regarda la photographie de son oncle d’un
œil morne.
— Alors je suis contente aussi.
XVII
Confessions, 1931
Elle le flatta en l’imitant : fulminant, pestant,
pleurant, piquant des colères à se rouler par terre, planant dans l’euphorie
quand tout allait bien, sombrant dans des journées entières de mauvaise humeur
pour des affronts ou des abandons imaginés. Elle le haïssait. Elle ne le
haïssait pas. Elle craignait d’être trop prude et timorée. Elle se sentait
souillée et odieuse. Elle hurlait sur les serveurs au restaurant. Elle ne
payait jamais un achat sans crier à l’escroquerie. Elle tournait à la garce, le
savait, et détestait ça, détestait quand il disait : « Nous sommes
pareils », détestait son entichement, la servitude poisseuse qu’il lui
imposait, sa cruauté et sa perversion, son manque d’originalité en choisissant
de montrer au monde un visage si vulgaire et si terne.
En mars, Hitler et Geli allèrent voir une
pièce bavaroise de Ludwig Thoma au théâtre Kammerspiele, où il joua l’amoureux
de façon écœurante, trouvant des prétextes pour parler à l’oreille de sa nièce,
la tripoter, pencher la tête tout près de la sienne comme un enfant, la
regarder. Fatiguée de cette insistance, elle se mit un doigt sur la bouche pour
le faire taire, et il croisa les bras et bouda un moment avant de recommencer à
soupirer. C’est alors qu’il vit que Herr Doktor Hanfstaengl l’observait depuis
un balcon latéral, et il prit l’expression « massacre des innocents »
de ses photographies de propagande.
Ensuite ils dînèrent tous ensemble au café
Schwarzwälder où un schnauzer, qui n’arrêtait pas de japper agaça tellement
Hitler qu’il alla vers la table en question et se planta devant le chien de
façon comique, jusqu’à ce que l’animal prenne peur et se taise. Puis il regagna
sa place, humilia sa nièce en lui donnant des miettes de gâteau à la becquée, et
brandit devant Putzi le dernier relevé de droits d’auteur qu’il avait reçu des
éditions Eher. Mein Kampf était sorti depuis presque six ans et se
vendait en moyenne à six mille exemplaires par an, mais en 1930 il s’en était
vendu soudain cinquante-quatre mille, et avec les droits étrangers, annonça-t-il
fièrement, il serait bientôt un homme riche.
— Voilà une nouvelle qui mérite quelques
coupes du meilleur Champagne ! s’exclama Putzi.
Au lieu de cela, le Führer se lança dans un
monologue d’une heure sur les prochaines élections de 1932, sur « les
éléments clownesques de bolchevisme de salon » qui s’étaient égarés dans
le parti et d’où il faudrait les extirper, sur sa patience face aux conflits
continuels entre les voyous SA et les membres des SS, la troupe disciplinée et
de plus en plus redoutable d’Heinrich Himmler, deux organisations qui lui
étaient loyales et qui luttaient pour sa préférence.
— Quand une mère a de nombreux enfants, dit
Hitler à son secrétaire chargé de la presse étrangère, et que l’un deux est en
train de se fourvoyer, la mère avisée attrape fermement cet enfant par la main
et ne le laisse pas s’échapper.
Même alors Putzi Hanfstaengl savait que Geli
était cet enfant, car il était évident que le monologue d’Hitler l’ennuyait, et
elle se laissait aller ouvertement à bâiller, à jouer avec ses couverts et à
lancer des regards envieux par-dessus son étole de renard vers tous les couples
joyeux qui les entouraient.
Lorsque le café Schwarzwälder ferma, leur Führer
encore tout fringant insista pour que Herr et Frau Hanfstaengl viennent boire
un verre avec sa nièce et lui dans l’appartement de Prinzregentenplatz. Une
fois sur place, il
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